La Revue des Ressources

Poèmes de Ye Mimi 

traduits du chinois par Marie Laureillard

lundi 14 décembre 2015, par Ye Mimi

Ils y sont mais pas moi

La montre y est mais pas le temps
Le temps y est mais pas les gens
Les gens y sont mais pas les poules
Le jacquot y est mais pas les dieux
Trois heures y sont mais pas neuf heures
Le printemps y est mais pas l’hiver
Le calendrier y est mais pas les nombres

Mon œil droit est là aujourd’hui
Mais mon œil gauche est encore hier
Mon genou gauche est arrivé après-demain
Mais mon genou droit est déjà arrivé l’année prochaine

Cet océan vieux de cinq cents ans a-t-il été effleuré par une main âgée de cinq cents ans ?
Ou ces mains âgées de cinq cents ans effleurées par un océan vieux de cinq cents ans ?

Tout le monde piétine le temps
Et fait semblant d’être arrivé dans l’espace

Le temps n’y est pas mais il y est
Ils y sont mais pas moi
le temps n’y est pas mais il y est
Ils y sont mais pas moi

Devant ce qui est devant est derrière
Derrière ce qui est derrière est devant
Quand la personne la plus âgée se retourne
elle devient la plus jeune
Quand la plus jeune personne se retourne
elle devient la plus âgée

Le temps n’y est pas mais il y est
Ils y sont mais pas moi
Le temps n’y est pas mais il y est

Déplacé ?

Cher M. Parade,
Le croiras-tu ?
Le médium d’une divinité m’a dit que j’avais l’âme d’un homme.
Fille menue, parfois, c’est vrai, je sens une paire de mains d’homme
dans mon corps me propulser en secret.
surtout quand je cours après le bus ou m’élance comme une fusée.

Cher M. Parade,
J’ai décidé de marcher à reculons. Mon chat et mon paon me suivront.
Je voudrais que mon horizon soit toujours aussi vaste que l’océan.
Je continuerai à reculer, à reculer jusqu’au bout de la terre.
Je voudrais reculer enceinte jusqu’à engendrer un enfant qui reculera lui aussi.
Je le nommerai « Distant »
Cher M. Parade,
Je voudrais t’offrir une chanson que j’ai écrite.
Elle s’appelle « il y a un mur vide dans mon revolver »

Il y a un mur vide dans mon revolver

J’imagine échanger un éléphant
ou même une statue de Platon
Nulle goutte de pluie ne sait où elle finira
Aucun chat ne pourra dérober dix venelles
Puis je continue à descendre
En caressant mes balles je me rends à toi

Ayant dévoré le soleil qui gravite autour des ailes de l’oiseau
La rivière la plus opulente sait prendre son envol
Ayant écouté vaches et moutons cheminant le long de ce jour radieux
La plus petite oreille étincelle

J’imagine repiquer du riz dans le champ d’un autre
Ramer dans l’esquif d’un autre
Me gratouiller dans les bottines d’un autre
Adresser mes prières dans le temple d’un autre

Il y a un mur vide dans mon revolver
Il y a un mur vide dans mon revolver
Il y a un mur vide dans mon revolver
Il y a un mur vide dans mon revolver

Cher M. Parade,
En mars, je suis allée en pèlerinage avec la déesse Baishatun Mazu.
Mazu s’est agitée dans son palanquin et a décidé de la route à suivre.
Nul ne savait où elle irait.
Elle a rejoint des usines et des marchés de rue, ainsi que la police et une mini-école.
Huit jours et huit nuits durant, Mazu a ressemblé à un miroir pivotant sur 360 degrés,
qui reflétait les miracles et nous-mêmes.
Tout le monde a fondu en larmes sans pouvoir s’arrêter.
 

P.-S.

en logo, autoportait de Ye Mimi.

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