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L’Asie est un mythe plus malfaisant que l’Orient 

Réponse à l’enquête « Où en êtes-vous avec l’Asie ? »

lundi 6 octobre 2008, par Didier Coste

1. Croyez-vous qu’un péril venu d’Asie menace l’Europe ? Quels en seraient les vecteurs ?

L’Europe est principalement menacée, et tout d’abord, d’inexistence, par elle-même : par sa soumission à un modèle nord-américain qu’elle ne comprend pas et dont elle refuse de mesurer les dangers ; par son enfermement défensif ; par son sentiment de supériorité ; les dangers qui pourraient venir d’Asie sont les mêmes qu’elle y a disséminés.

2. Pensez-vous que l’Asie soit une entité, une seule civilisation ? Et l’Europe ? Comment les percevez-vous ? Les hiérarchisez-vous ? Selon quels critères ?

L’Asie géographique, entité d’ailleurs purement imaginaire, puisqu’il y a continuité des terres habitées et des voies de communication de Gibraltar à Pékin, ne correspond ni à une seule entité ni à une seule civilisation, mais à de nombreuses cultures très hétérogènes. L’Europe (quelle Europe ?), de quelque façon qu’on la prenne, est aussi hétérogène que l’Asie. Europe et Asie ne sont, culturellement parlant, que des constellations, des dessins faits pour tenter de donner sens à des percepts relatifs à des mondes non connexes. La mondialisation défait ces constellations avant même qu’elles ne puissent acquérir la moindre réalité.

3. Que vous évoque le mot « Eurasie » ? Vous évoque-t-il quelque chose comme un rêve d’union entre civilisations complémentaires, à l’instar de ce que les idéalistes du siècle dernier ont espéré ?

Le mot Eurasie n’évoque pour moi qu’un continent au sens géologique et géographique, une étendue continue de terres émergées. Si l’on parlait d’Eurasie à tout autre sens, on pourrait aussi bien, et sans doute mieux parler d’Euramérique. Toutes les civilisations sont complémentaires, mais toutes les barbaries aussi. En outre, l’idée d’union eurasiatique est mineure et décalée aujourd’hui, face à la mondialisation

4. Etes-vous d’avis, comme Edmund Husserl, que le monde soit irréversiblement européanisé et que l’Asie, quoi qu’elle fasse, ne peut le faire qu’en se positionnant par rapport à ces valeurs européennes ?

Certes pas d’accord avec Husserl, d’abord parce que l’Europe elle-même est beaucoup moins européanisée qu’il n’y paraît, si l’on tient pour européennes des valeurs humanistes, laïques et rationnelles, apparues ou reparues et réélaborées en Europe entre la Renaissance et les Lumières (plus grand chose n’ayant été pensé depuis en termes d’axiologie et d’éthique)

ou bien l’Asie a-t-elle encore quelque chose à apporter au monde et plus particulièrement à l’Europe, comme certains entendent le montrer ?

Non pas « l’Asie », mythe aussi ou plus malfaisant que l’Orient, mais des sous-ensembles ou des isolats relatifs qui la composent effectivement ont plus que jamais quelque chose à apporter à un monde auquel elles ont déjà apporté des expériences, des schèmes conceptuels et des modes relationnels très variés. L’Inde, entre autres, par son extrême pluralité sous quelques facteurs unitaires, est pleine d’enseignements pour l’Europe et pour toutes constructions similaires.

5. Dans quel domaine - arts, littérature, cinéma, philosophie - l’influence de l’Asie vous semble-t-elle avoir été ou être la plus féconde, ou la plus néfaste ?

« Qu’est-ce que le reste du monde a retenu de ou emprunté aux cultures dites asiatiques ? » serait une formulation plus acceptable. La liste est longue. Mais le baroquisme indien et la rigueur esthétique japonaise, principe d’exubérance et principe de contention, sont actuellement des forces de proposition au centre de la guerre des styles qui règne sur la postmodernité européenne.

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