La Revue des Ressources

Balade islandaise 

lundi 18 juillet 2011, par Elisabeth Poulet

Les Islandais disent qu’ils n’ont pas de bâtiments imposants, de cathédrales somptueuses, de châteaux envoûtants, ni d’autres grands témoignages de leur passé, mais que cela ne fait rien car ils ont leurs histoires. Leurs fameuses sagas, bien sûr, dont l’étymologie traduit bien la fonction première puisque « saga » vient du verbe « segja » qui signifie « dire, raconter ». Régis Boyer définit la saga islandaise comme relevant avant tout d’un « art narratif, fait d’économie, de resserrement, voire de laconisme. Cet art refuse toute fioriture, toute concession au pathétique facile. Un humour difficilement traduisible vient toujours tempérer au moment opportun toute tentative d’effusion. » La littérature islandaise moderne, forte de ce digne héritage, tisse avec ingénuité et sérieux des fils entrelacés de passé et de présent. En effet, personne ne niera que la littérature islandaise entretient des liens étroits avec le passé. C’est bien en Islande, avant de construire la route n°1, celle qui fait le tour de l’île, que l’on a rendu le tracé public afin que chacun puisse y apporter des modifications afin que le bitume ne recouvre pas la tombe d’un ancêtre… ce qui explique bien des virages et de belles épingles…

Dans Le testament des gouttes de pluie, de Einar Mar Gudmundsson, c’est le sellier bourru qui, dans la banlieue de Reykjavik, rappelle ce goût islandais pour les histoires, lui qui réunit en son atelier des pêcheurs et des compagnons de boisson pour en raconter avec délectation : « Non, ici, chacun sait apprécier les histoires à leur juste valeur. Chacun sauf, peut-être, le chien. Du reste, il n’existe pas de tradition littéraire chez les chiens. D’ailleurs, le chien, il dort comme un phoque assommé. Eh bien, je me dois de vous dire les choses telles qu’elles sont : les chiens se rapprochent des alcooliques en ce qu’il est impossible de discuter ou de boire avec eux. »

La scène littéraire islandaise et la scène littéraire islandaise du noir ont en commun cet attrait sans cesse répété pour le passé. Ainsi, l’inspecteur Erlendur, personnage emblématique d’Arnaldur Indridason, nourrit-il une passion immodérée pour les enquêtes concernant des crimes perpétrés il y a de cela des décennies et, lorsqu’un tremblement de terre provoque un changement du niveau des eaux du lac de Kleifarvatn et découvre un squelette portant des inscriptions en caractères cyrilliques à demi effacées, Erlendur se passionne et part à la découverte du mystère de l’homme du lac (L’homme du lac, Editions Métailié, 2008). Erlendur, dont le frère a disparu dans une tempête de neige alors qu’ils étaient enfants, est ce que Indridason appelle « un squelette vivant », autrement dit quelqu’un qui reste figé dans le temps. Les romans d’Indridason parlent souvent de disparitions, mais pas spécialement de la personne qui a disparu, plutôt de ceux qui restent après cette disparition et comment ils la vivent. Des squelettes vivants qui, dans la littérature islandaise, fréquentent naturellement des squelettes morts, des fantômes.

Arnarstapi

Cependant, ce serait une grossière erreur (qu’un Islandais ne vous pardonnerait pas) que de penser que la littérature islandaise s’apparente au genre fantastique. Elle revendique un trop fort ancrage dans le réel pour cela et aurait plutôt des accointances avec le merveilleux. Les sagas, nous rappelle Régis Boyer, « traduisent une vision du monde, de la vie et de l’homme qui nous propose un équilibre exemplaire entre réalisme appliqué et idéalisme modéré, entre la banalité du quotidien et la démesure de l’exceptionnel. »

La littérature islandaise contemporaine n’a pas dévié de cette voie. Comme la réalité ne sait pas toujours comment dire les choses, il faut parfois lui tordre le cou pour y parvenir et c’est bien ce que fait Gudrun Eva Minervudottir avec son recueil de nouvelles, Pendant qu’il te regarde tu es la Vierge Marie, là où donner à manger de la pâtée pour chats à des enfants reclus, adopter très solennellement un ficus ou prendre Dieu pour amant relève du quotidien islandais, un lieu ou « ça grouille de putains de fantômes ».
En Islande, personne n’est stupéfait de voir surgir des elfes ou des spectres. Ils font partie de l’environnement. Les frontières sont poreuses entre le visible et l’invisible, même aujourd’hui. « Les Islandais conservent cette croyance dans le surnaturel, analyse Arni Thorarinsson. Ils croient en la vie après la mort, aux fées, aux trolls… Parce que le matérialisme, c’est vide. C’est saturé de mort. La magie, c’est la vie. Donc, bien que nous courrions après le matérialisme à toute vitesse, il y a toujours ce besoin, dans l’âme islandaise, de quelque chose de différent, de merveilleux. » D’ailleurs, Arni Thorarinsson débute son roman, Le Dresseur d’insectes, au beau milieu d’une histoire de fantômes… sur un ton typiquement islandais : « N’est-ce pas, en réalité, simplement des remords de cette femme dont il est question dans ce conte ? Ce fantôme n’étant que la matérialisation de son sentiment de culpabilité ? Ne s’agissait-il que de revenants qui hantaient son âme ? Ou bien était-ce réellement le fantôme de son enfant ? Comprenez ça comme vous voudrez. » Les fantômes peuplent les écrits islandais modernes, que ce soit chez les auteurs de polars, chez Einar Mar Gudmundsson (Le Testament des gouttes de pluie) où se côtoient les elfes malicieux et les fantômes des marins terrifiants ou encore chez Steinunn Sigurdardottir où Harpa, qui décide de quitter Reykjavik avec sa fille et sa meilleure amie doit supporter les horripilantes apparitions du fantôme de sa mère (La Place du cœur).
Mais ce qui caractérise aujourd’hui la littérature islandaise et qu’il serait bien dommage de passer sous silence, c’est son humour désopilant, son sens du décalé, de la dérision, son ironie, son irrésistible cocasserie que l’on retrouve également dans le cinéma islandais notamment avec Back soon, de Solveig Anspach.
Je vous invite donc, en cet été 2011 [1], à une balade islandaise…

P.-S.

Photographies : Elisabeth et Régis Poulet.

Notes

[1- L’index des articles liés à la programmation islandaise de l’été 2011 est accessible au mot-clé n°1324 : Ísland.

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