NOTE BIOGRAPHIQUE
22 janvier 2012. — Le Dauphiné libéré. — Yann Le Masson, né à Brest le 27 juin 1930 (81 ans), chef opérateur, documentariste et marinier est décédé à Avignon, vendredi 20 janvier. Chef opérateur réputé il a travaillé avec John Frankenheimer (Grand Prix) Sydney Pollack, Michel Audiard et Serge Gainsbourg (Je t’aime moi non plus, Équateur). Documentariste engagé il a réalisé en 1973, Kashima Paradise, qui décrit les affrontements des paysans s’opposant à la construction de l’aéroport de Tokyo. En 1980, Regarde, elle a les yeux grands ouverts est une plongée au cœur d’une communauté féministe d’Aix-en-Provence en lutte pour l’avortement et la contraception. Alternant avec ses activités de cinéaste et d’enseignant à Cuba il a exercé longtemps le métier de marinier en Europe. C’est sur sa péniche Nistader, qu’il s’est éteint ce vendredi 20 janvier.
18 avril 2011. — L’homme est comme il est, à prendre ou à laisser : fils d’officier de marine, études de mathématiques, écoles de photographie et de cinéma Vaugirard et IDHEC, guerre d’Algérie (1955-1958), photographie de La Récréation (1959) de Paul Carpita. Communiste, chef-opérateur baroudeur, opérateur, titulaire du brevet de capitaine et de mécanicien, entre 1980 et 1993, il exerça le métier de transporteur fluvial en Europe.
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FILMOGRAPHIE
Auteur réalisateur
Le coffret Kashima Paradise / Le cinéma de Yann Le Masson (éditions Montparnasse, 2 DVD) propose à partir du 3 mai 2012 l’ensemble de ses films d’auteur, sauf Le Poisson commande (1978) [1], co-réalisé avec René Vautier (animateur de l’Unité de Production Cinématographique Bretagne et réalisateur de Avoir Vingt ans dans les Aurès (1972), et Félix Le Garrec, sur la chaîne du poisson jusqu’à nos assiettes. On peut également trouver ce coffret dans la librairie en ligne amazon.fr. [NdLaRdR : manquent également des films militants liés à des collectifs car on n’en tirait souvent qu’une seule copie à cause du coût et depuis elles se sont égarées ou détériorées ; notamment un film contre le nucléaire, en 1975, et d’autres.] Voir l’article Hommage à Yann Le Masson dans La RdR.
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• 1961. J’ai huit ans.
Des portraits d’enfants algériens fixes. Leurs dessins en couleurs, sur la guerre, la torture, la mort. Leurs commentaires. Yann Le Masson avait fait en Algérie son service militaire, « son drame le plus profond » entre 1955 et 1958, officier parachutiste déchiré entre son engagement communiste et l’obligation de combattre ceux dont il partageait l’idéal. Il en revient profondément perturbé, entre dans l’aide active au FLN et coréalise avec sa femme Olga Poliakoff (1928-2009) en Tunisie ce court métrage (8’), à l’origine du Groupe de cinéma parallèle, producteur de films de propriété collective sur des problèmes collectifs, en auto-production et en auto-diffusion : le modèle que développera tout le cinéma politique, hors la loi des deux décennies suivantes. Il s’agit de démontrer que la question de l’argent ne se pose pas, que toute censure est d’abord autocensure. Ce superbe film n’avait coûté qu’un million et demi d’anciens francs dans ces conditions techniques parfaites. On le réaliserait aujourd’hui pour trente-cinq euros.
Extrait du film J’ai 8 ans présenté dans l’hommage de Le vieux monde qui n’en finit pas :
Fiche inmdb.
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« Tu me demandes pourquoi je filme ? Pour changer, devenir différent, et ainsi, aussi peu soit-il, changer le monde. » Yann Le Masson, à Patrick Leboutte (1987)
« À partir de dessins d’enfants algériens réfugiés en Tunisie, le film visait à faire entrer le spectateur dans l’univers traumatisé de ces gosses, faisant rimer atrocement le mot "France" avec les mots "tuer", "brûler" ou "torturer". La partie de ce film correspondant aux prises de vues réelles a été tournée en Tunisie par René Vautier et moi-même. En cours de réalisation, une seconde série de dessins furent réunis et les témoignages des enfants enregistrés par Olga à la frontière algéro-tunisienne. Le montage fut mené en collaboration avec Jacqueline Meppiel. Sa première projection eut lieu à Paris le 10 février 1962, sans précautions, sans autorisation, sans faux-fuyants, pour une cinquantaine de personnes. Ce même jour, les salles d’exclusivité affichaient Jules et Jim, Don Camillo Monseigneur, Vie privée, Adorable menteuse, Diamants sur canapé et Milliardaire pour un jour. L’avant-veille, c’était Charonne. Parrainé par le Comité Maurice Audin, le film circula ensuite clandestinement dans toute la France, par dizaines de copies, et fut vu par des dizaines de milliers de personnes alors que l’OAS plastiquait à Paris comme à Alger. » Yann Le Masson, Le Baobab, in coffret Yann Le Masson (Caméra samouraï), Montparnasse, 2011.
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• 1963. Sucre amer.
Le premier film européen à suivre une campagne électorale sur le vif. Le précédent, américain, avait été créé par Robert Drew et Richard Leacock, récemment décédé, avec Primary. Le premier ministre du général de Gaulle, Michel Debré, vise la députation à l’île de la Réunion contre Paul Vergès, secrétaire du PCF. Sucre amer (24’) montre les patrons ordonner le vote de leur main-d’œuvre, le ministre faire miroiter l’histoire de France et le patriotisme devant des foules abusées et des gros plans d’hommes fatigués ou sceptiques, Africains, Asiatiques ou Malgaches. Et l’organisation manifeste de la fraude électorale, comme les images des tombes des morts qui avaient voté. Le film est demeuré interdit dix ans.
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« (...) allocution de Paul Vergès à propos de l’identité réunionnaise, lors d’un meeting enregistré en 1963 par Yann Le Masson pour son film Sucre Amer »
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• 1973. Kashima Paradise.
Son film le plus long (107’) tourné avec sa compagne, la sociologue Bénie Deswarte et assorti de commentaires écrits par Chris Marker. Après une introduction de manifestations urbaines, les scènes centrales illustrent avec clarté l’économie traditionnelle du ghiri, le don-contredon qui enserre les familles dans un réseau d’obligations sociales, de la cérémonie du toit au mariage, et fait bon ménage avec le capitalisme dans les immenses usines de Kashima, ravageant les terres et les côtes des paysans et des pêcheurs réduits à l’état de misérable main-d’œuvre. Et pour finir, une immense séquence de la résistance paysanne contre la construction expropriatrice de l’aéroport de Narita, avec des images qui retrouvent la plasticité militante d’Eisenstein. On peut entendre ici Yann Le Masson dire son plaisir sensuel pris au tournage de ces luttes qui durèrent toute une semaine. Le livret accompagnant le coffret donne à lire une importante conversation entre Bénie et Yann sur leurs débats pendant le tournage et le montage : documentaire, objectivité, réflexion critique, propagande, des questions qui n’ont pas fini de nourrir le cinéma documentaire.
Débat avec Yann Le Masson après la projection de Kashima Paradise
Festival Cinema du Réel 2010 CNAC Pompidou, Paris
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• 1980. Regarde, elle a les yeux grand ouverts.
À notre sens, le joyau du coffret (77’). Les « Filles d’Aix », des jeunes et des moins jeunes, toutes militantes du MLAC entre 1975 et 1982, certaines d’entre elles vivant l’expérience communautaire, avant et après la loi Veil. Leurs pratiques résolument collectives à tous les niveaux (soutien, accouchement à domicile, avortements, procès de 1977) sont montrées, la plupart du temps sur le vif, avec gravité, intimité sans voyeurisme, et toujours leur dynamisme et leur courageuse bonne humeur. Les manifestations de soutien devant le Palais de justice sont si bouleversantes que le policier lui-même est étreint par l’émotion. Dans les scènes d’accouchements à La Commune, Yann Le Masson s’en donne à cœur joie dans des images complexes, peuplées de femmes affairées ou prévenantes, d’enfants sidérés par ce qu’ils voient, d’hommes discrètement là en arrière-plan, Nicole regardant son enfant naître dans un miroir et le sortant elle-même à pleines mains. Du bonheur sans douleur, pratique collective aussi du grand cinéma.
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• 1984. Heligonka.
Le film le plus intime de Yann Le Masson (27’). Son frère Patrick qui, comme lui, vit sur une péniche, vient de devenir le père de Julie. Mais, diabétique, il perd irrémédiablement la vue. Il empoigne son vieil accordéon Heligonka, pièce parmi d’autres d’une véritable collection de limonaires et de claviers divers, pour lui donner son premier concert : le bébé en perd son sein. Il se soumet au traitement laser, espérant conserver ce petit centre flou qui fait toute sa vision, tout en continuant à jouer sa musique, réparer ses mécaniques, aimer sa femme et sa fille. Qui regarde, qui entend ? Yann Le Masson médite sans doute aussi sur les mystère de son propre cinéma.
Extraits du samedi 21 janvier 2012, Yann Le Masson : Camera samouraï, © « ralentir travaux », le blog de Pierre Darmon, CC by-nc-nd/2.0/fr (écrire).
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FILMOGRAPHIE (Index de France Culture)
{} 1. Votre enfant m’intéresse (1981) Jean-Michel Carré
{} 2. Aïnama (Salsa pour Goldman) (1980) Frank Cassenti
{} 3. Nucléaire danger immédiat (1977) Serge Poljinsky
{} 4. Les prisons aussi... (1975) Hélène Chatelain & René Lefort
{} 5. La Cecilia (1975) Jean-Louis Comolli
{}6. L’homme qui voulait violer le monde (1974) José Bénazéraf
{} 7. Kashima Paradise (1973) Yann Le Masson
{} 8. Tu imagines Robinson (1967) Jean-Daniel Pollet
{} 9. L’or et le plomb (1966) Alain Cuniot
10. Les morutiers (1966) Jean-Daniel Pollet
11. J’ai huit ans (1961) Olga Baïdar-Poliakoff, René Vautier, Yann Le Masson
12. Aicha (1960) Noureddine Mechri & Francis Warin
13. Quand le soleil dort (1954) Ruy Guerra
{} 1. Équateur (1983) Serge Gainsbourg
{} 2. Alertez les bébés (1978) Jean-Michel Carré
{} 3. Je t’aime moi non plus (1976) Serge Gainsbourg
{} 4. Sans sommation (1973) Bruno Gantillon
{} 5. Cannabis (1970), Pierre Koralnik
{} 6. Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages (1968)
{} {} {} {} {} Michel Audiard
{} 7. Castle keep (1968), Sydney Pollack
{} 8. Grand Prix (1966), John Frankenheimer
{} 9. Combat dans l’île (1962), Alain Cavalier
10. Les scélérats (1960), Robert Hossein
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Le portrait de Yann Le Masson en logo est un recadrage d’une photo © RV Dols, en 2011.
En logo de survol, il s’agit du recadrage d’une capture du film Regarde elle a les yeux grand ouverts.