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Sauvegarder la collection André Breton 

février 2003, par Olivier Cazeneuve

Nous avons demandé à Olivier Cazeneuve, juriste, d’évaluer dans quelle mesure la création d’une fondation serait la solution dans le cadre du "sauvetage" de la collection Breton mise aux enchères.

La Fondation paraît en effet une solution d’aboutissement séduisante mais qui présente l’inconvénient premier de ne pas encore exister.

Au plan juridique, une fondation est, au départ, une association à but non lucratif, type 1901, qui va administrer et gérer un fonds en relation avec son objet social.

Le principe de la fondation telle qu’on l’entend ici consiste à créer une structure vouée à réunir des capitaux privés qui opèrent ainsi un mécénat : en l’occurrence l’acquisition, la conservation et l’exploitation à des fins non lucratives de la collection Breton. Or, si mes souvenirs sont exacts, une telle fondation devrait recevoir l’agrément et la tutelle de la Fondation de France, ce qui exige un délai minimal d’un an, outre l’inévitable déclaration d’utilité publique sans laquelle l’Etat est réticent à coopérer avec un organisme dans ce type de cas de figure.

Je passe sur les subtilités fiscales exigées pour obtenir la qualification d’action de mécénat, pour en arriver à ceci : cette fondation n’ayant pas de capital préexistant ne pourra opérer que si l’on connaît, au moins grosso modo, le coût de la facture. C’est le point déterminant, ne serait-ce que parce que ce ne sont pas les mêmes acteurs, les mêmes démarches, les mêmes pressions selon qu’on demande 1, 10 ou 100 millions.

Cependant, tous ces cas de figure posent des problèmes comme ceux de la concurrence (et les enfants du Soudan ? et la Recherche contre le Cancer ? et la sauvegarde de la Cathédrale Saint-Frusquin ? et le soutien au folklore loudunais ?) et de l’exploitation du fonds avec des gens qui raisonnent en termes de capitaux (qui gère et comment ? quels sont vos comptes d’exploitation prévisionnels et vos garanties de pérennité ? quel retour sur investissement en termes d’image ? quels seront mes privilèges de mécène ?) où il faudra à chaque fois et convaincre et justifier. Bref, sans gérance nette, volontaire et resserrée, l’emploi de l’expression usine à gaz pour ce genre de projet s’avère généralement assez approprié et son objectif rarement atteint.

Mais plus profondément, ce type même d’action engendre un changement d’axe complet par rapport à ce qui me semble avoir été jusqu’à présent le cours d’un mouvement initié par une réaction émotive vis-à-vis du risque encouru par un patrimoine culturel. C’est en effet une chose de réunir des personnes, des paroles, des pensées, des bonnes volontés, des signatures, mais c’en est une toute autre que de réunir des capitaux. Non seulement on ne raisonne plus de la même manière ni avec les mêmes gens, mais surtout une telle structure pose directement le problème de la maîtrise d’œuvre de l’opération « sauvegarde de la collection André Breton » qui peut s’analyser comme suit :

Soit l’Etat est maître d’œuvre principal et on demande donc à la Fondation de concourir accessoirement à une action étatique ; or ce n’est pas son objet réel : une fondation peut se substituer à une mission de l’Etat, c’est même ce qu’elle fait la plupart du temps, mais elle ne saurait se concevoir dans le seul but de lui apporter son appui pour un cas ponctuel dans un cadre unique. Pour être plus net, à moins qu’on connaisse un généreux milliardaire amoureux du surréalisme et de la France, je crains qu’il soit difficile de trouver des partenaires de dimension adéquate désireux de servir de fonds de poche à l’Etat pour une opération non estampillée patrimoine mondial de l’humanité.

Soit la fondation est maître d’œuvre et alors l’Etat peut subventionner, mais dans le cas d’espèce, il concourra dans une proportion probablement bien moindre que ce qu’il aurait accompli s’il s’était trouvé en première ligne car aussi bien la pression que l’intérêt se déplaceront sur la Fondation. Ce qui ramène au problème de l’enveloppe déjà évoqué et surtout, en cas probable d’insuffisance de financement, oblige à considérer la dimension internationale d’un tel projet et le fait qu’il n’est pas forcément cohérent d’espérer convaincre des étrangers de concourir à maintenir en France un patrimoine français (après tout, la collection Breton consistant en une architecture d’intérieur recréée dans un autre lieu, pourquoi en France plutôt que, par exemple, en Suisse ou en Argentine ?)

Quant à l’hypothèse consistant à tenir l’Etat et d’autres partenaires sur un pied d’approximative égalité, il est à craindre qu’elle ait tout du vœu pieux ; lorsque Serge Velay signale avec raison que les services de la rue de Valois sont déjà prêts à se tirer dans les pattes les uns les autres, on peut imaginer ce qu’il en sera face à quiconque prétendant à un traitement égal à l’Etat dans un pays où la puissance publique n’apprécie vraiment pas ce genre de prétention.

Enfin il a été écrit « qu’une Fondation peut comprendre l’Etat, des privés, des associations d’usagers "défenseurs de...." » ; en principe c’est parfaitement exact ; en réalité, moins. Plus précisément, et comme pour la plupart des structures humaines, il lui faut un noyau stable et solide, un sous-ensemble central, ne serait-ce qu’aux fins de coordination. Or l’on constate d’ores et déjà la multiplicité des intérêts qui convergent peut-être ponctuellement et pour des motifs peut-être dissemblables sur ce sujet, ainsi que les premiers impacts (cf. la lettre récente de Danielle Dubroca) de cette multiplicité.

Ce n’est sans doute pas ainsi que l’on fabrique une fondation ; ce ne sont pas ces procédés qui la déterminent. A part les exemples de sponsoring déguisé en mécénat, telle la fondation Cartier, ce qui n’empêche d’ailleurs nullement d’exercer un mécénat véritable, en règle usuelle, une fondation démarre avec un fonds préétabli, dont l’exemple célèbre, celui qui me vient en premier à l’esprit parce qu’assez proche dans sa conception, pourrait être la Frick Collection de New York. Il y a certes de très nombreux partenaires de cette Fondation, publics, privés, personnels ou collectifs. Seulement, dans ce cas, comme dans la plupart, il n’y a pas de hiatus entre les intervenants, pas de cette ambiguïté dont Retz énonce qu’on n’en sort qu’à son détriment : il s’agit de la fondation de Monsieur Frick, créée et stipulée par lui, avec au départ, un fonds, un capital composé d’immobilier, d’œuvres et de meubles d’art, et d’argent pour le faire vivre. La fondation, qui porte bien son nom, est dotée dès sa fondation des moyens qui lui sont nécessaires ; elle n’est pas un aboutissement, mais plutôt un préalable à son objet social.

Or, dans le cas qui nous préoccupe, la fondation envisagée représente un aboutissement, puisque la solution à un problème, voire presque une sorte de pis-aller. Elle ne saurait d’ailleurs être un préalable en raison des délais nécessaires à sa constitution, en raison des nombreuses difficultés de sa mise en place dans la situation d’espèce, et en raison de l’insuffisance probable de ses moyens.

Par conséquent, en l’état actuel, il semble que seule une fondation préexistante pourrait efficacement intervenir à effet de sauvegarder le patrimoine représenté par la collection Breton, ce qui n’évite pas certains problèmes signalés précédemment. Mais, avant même cette opportunité, il s’agit de choisir en connaissant les implications du simple fait de s’embarquer dans une substitution totale ou partielle de l’action privée à l’action publique, et du glissement du registre des personnes et idées à celui du capital.

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