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Poèmes des amitiés lointaines 

lundi 14 avril 2014, par Norbert Barbe

POÈMES DES AMITIÉS LOINTAINES

LOVE, ETC.

Un Malheureux appelait tous les jours

La mort à son secours

(Ésope, ’La Mort et le Malheureux’)

Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée
Lui font d’un malheureux la peinture achevée.

(La Fontaine, ’La Mort et le Bûcheron’)

Qui cherche la sortie de secours

L’âme sans recours

Sur ce putain de parcours

Qu’ennuie le séjour

Comme dit la chanson Amour

Cour

Jour

Toujours

Troubador

De vaudou en vautours

Ne t’étonne pas qu’il soit plus facile de composer lorsqu’on est sourd

C’est que ça tue la cacophonie autour

Comme dit la chanson Amour

Cour

Jour

Toujours

Troubador

Ce ne sont pas seulement les fours

Qu’on prend en amour

Velour ô t’en souvienne Marchand de velours

Ce sont aussi tous les détours

De ce labyrinthe sans retour

Chaque pas qui éloigne plus de la désirée sortie dont je discours

Comme pour Adam le bûcheron ces tristes alentours

N’offrent que fatigues peines et labours

Fricher sans cesse copie des autres jours

Et les hommes nos frères causes seuls du résurgent malheur qui nous encoure

Comme dit la chanson Amour

Cour

Jour

Toujours

Troubador

AMAZING GRACE

There’s no place

On home grass

& no work to purchase

Police says

From Wall Street U better raise

’Til we sing Amazing Grace

Find a job is real mess

Life’ a maze

My children to raise

Risky buzen’s

Look the clock face to face

Poverty has no race

’Til we sing Amazing Grace

Better find your mark better find your place

So feed your dog make your prays

Home works & cotton fields ’cause in Paradise

Talk freedom live in chains

Wait I’ve been making my nails

Is song God plays

’Til we sing Amazing Grace

I said pretty prink your ass

There’s no prosecutor there’s no jails

Says hooligans says vandals

There’s no peace at doors hell’s

It’s always

Another case

Just a Texas blues sing I think by angels

Peace and hope ’re just a phrase

If I hurt somebod’s feelings let me apologize

Myself for another blaze

’Til we sing Amazing Grace

AON AON (AÏON)

Où t’en es-tu donc allé Villon

Après ton 63 sans adresse ni guide de déménagement Century21

Les yeux qui piquent c’est con on dirait une chanson de Souchon

Les procès de Baudelaire

Et de Flaubert

Baudelaire contre le tout Paris

Et Flaubert aussi

Tu sais la morale de la bourgeoisie

Et Dostoïevsky

Loin de sa Perspective Nevski

Envoyé vite fait en Sibérie

C’était loin c’était froid

Par ce que j’en sais ça pourrait aussi bien être Stockholm

Parce que le bonhomme

En est revenu plus royaliste que le roi

Au fait vieille société dis-moi

Si à la Pension Belhomme

Ce ne sont pas aussi

Les enfants du Paradis

Qui y laissaient la pomme

Décousue du cou

À la fin comme tarte Tatin toute debout

Ou alors c’est juste moi je sais pas

Oh Babe chante chante-moi

Il n’y a pas d’amours heureux

Pendant que j’accumule mes morts à table

Je les organise galette des Rois

À qui perd gagne en file et peureux

En ces époques nauséabondes et misérables

Je ne sais si d’Hugo ou de Sue

Avant cheese sur les Kodak

Aujourd’hui juste cheesecake

Soufflé l’espoir et le trop-perçu

Sur les polaroïds toujours j’avais le trac

Depuis tu rends ta vie à Dieu et qu’il s’en torche le cul

C’est si facile d’être un héros

Tu vois tes frères si obéissants

Aux ordres d’un autre bourreau

Les rois changent eux ils restent constants

Le roi est mort tu connais la suite

Et dans tes silences un démon habite

Demande-lui l’heure du soir

Qu’il te rembourse le stop

C’était une autre route que tu voulais voir

À présent que les ombres t’enveloppent

Tu ne voulais pas y croire

Mais qui te touche t’écorche et entre les aulnes tu sais qui galope

Bois ton fax touche ton portable

Ton facebook engloutit ton jumeau instable

Tu te décris on te dis sociable

Tu voudrais parfois mettre les poings sur la table

Où es-tu Villon

Parti la rime est trop facile

Rejoindre les neiges d’antan

Et les petits enfants

Qui tombent des balcons

Disent bonjour mais ils ne restent qu’un instant

Si tu te souviens de nos pardons

Écris-lui que les hommes sont habiles

Et que s’il y a un grill

Rien ne sert qu’il le dise à sa création

Plus rien ne la surprend

Bon père aux talents utiles

Il a déjà fourni

Les armes et la guerre

La famine et l’envie

Les multinationales et les serial killers

FIAT LUX

La vieille Opportunité

Avec son unique cheveu sur la tête

Un jour fit le jour et la lumière

L’air frais de l’été

Où en rond les bêtes

Célèbrent la fleur et le lierre

Mais Dieu jaloux dans son éternité

Où seul et oublié il s’embête

Entre de gros murs de béton et de pesantes portes en fer

Pour se venger de n’avoir pas été invité

Décida qu’il mettrait fin à la fête

Et d’un coup de patte créa le triste hiver

En échange dans sa bonté

L’Opportunité voulut lui faire tête

Et créa l’oiseau qui vole dans les airs

Le poisson qui nage avec gaieté

Et la vache impassible qui n’arrête

De paisser l’herbe fertile et le cresson clair

Mais Dieu de nouveau entêté

À l’ombre de sa sinistre cachette

Changea le gai moineau en charognard sévère

Obligea le libre nageur à sa proie sans cesse guetter

Inventa le taureau qui se jette

Au sacrifice pour que les fous le vénèrent

La douce et pacifique Antiquité

Alors s’enfonça en des orgies secrètes

Et en une nuit vieillit laide et amère

Garantissant à l’injuste Dieu sa célébrité

Par les chants qui rendirent muette

Celle que naguère

L’on avait nommée Humanité

Propiciées à grand renfort de trompettes

Naquirent la sombre Misère

Aux vieux haillons mités

La Mort consciencieuse toujours prête

Et son Majordome manchot et cul-de-jatte qu’est la Guerre

Dans cet affrontement l’Opportunité fit la Vie

Aussitôt Dieu néfaste à sa rencontre envoya l’Envie

L’Opportunité fit l’heureux Vent

Dieu le songeur Temps

L’Opportunité donna la rose

Et pour l’accompagner le vaillant Poète et son vers

Dieu tout de suite les remplaça par la plate prose

Et le grossier épithète des tavernes qui seul verse les verres

L’Opportunité pour l’écrivain et le rêveur

Fit le matin flamboyant où le mauve dans l’orange bascule

Dieu pour la masse anonyme et l’horloge qui en mesure les heures

Le changea sans plus y penser en sanglant crépuscule

L’Opportunité inventa les couleurs

L’arc-en-ciel et les sentiments évocateurs

Dieu fit plus sombre la nuit

L’Opportunité y mis sa bougie

Mais Dieu pour tout feu fit les cendres et la suie

L’Opportunité apporta alors le chaton contre l’ennui

Mais Dieu envoya son chien méchant

En lui donna l’ordre d’aboyer aux passants

L’Opportunité construisit un Paradis

Mais Dieu un troisième y introduisit

L’Opportunité ouvrit grand le monde ample et libre

Mais Dieu y ajouta la porte et son timbre qui vibre

Après l’avoir pensé après tout

Il l’accompagna de l’indispensable voleur avec son passe-partout

L’Opportunité qui aimait les espaces leur ouvrit des fenêtres

Mais Dieu créa la cage intérieure

Où gisent ses voyeurs

Violeurs vampires vivant des âmes ouvertes des autres êtres

Compréhensive l’Opportunité lui donna l’excuse

Pour que Dieu superbe la métamorphose en mensonge

L’Opportunité songea l’eau douce que les rives longent

Mais d’un coup Dieu la barra d’écluses

Qu’il remplit de l’immonde pestilence et de la foule qui complice la ronge

Mais l’Opportunité ici suggéra Argenteuil et les impressionistes

Alors Dieu y associa Van Gogh et le suicide d’artiste

Il monta aussitôt les galeries et d’un même bloc de pierre dure

Les races jumelles des ronds-de-cuir et des marchands

L’Opportunité fit alors naître quelques Courteline à la ligne sûre

Mais pour un auteur Dieu avait déversé des siens cent

Naquit ainsi le médiocre

Naquit le pleutre

Naquit le saint

Naquit le patriote

Vaincue l’Opportunité défit son faucre

Troqua sa plume et son casque contre le veston et le feutre

Et en silence accepta enfin

Qu’on l’envoie en maison de retraite où lobotomisée elle radote

Dieu vainqueur orgueilleux

Devint dictateur des malheureux

Et à ses accolytes

Le Mal et l’Injustice

Donna tous les royaumes romain et hittite

Et toutes les sociétés barbares ou civilisatrices

***

Alors le Conseil des Anciens Sages

Qui avait pris ce changement avec gravité

Se réunit un vendredi après-midi

En session extraordinaire

Et sur une unique page

Comme ont coutume les juges et leurs comités

Décrirent en peu de mot le mal et son alibi

Conclurent satisfaits qu’ainsi devait être la Terre

Au patient il donnèrent la rage

À l’amant le coût du ménage

Au juste les révisions de comptes et l’expression publique de la probité

Pour l’honnête homme l’Église et la commodité

Au coeur simple la leçon de moralité

Qui sans pitié l’équarrit

Qui comme la chaux vive le blanchit

Ainsi ils inventèrent

Séminaires et Ministères

Un mot la Justice imparfaite justifiée par nos Pères

Les idées de la beauté de l’amitié et de l’admissibilité

Qui ne sont qu’une porte ouverte à leur exact contraire

Mais alors Dieu dogmatique

S’appuyant sur cette opportune décision de justice

Comme plus tard le feront ses disciples dictateurs

Organisa ses lois d’absolus interdits qu’il nomma bien sûr démocratiques

Pour les faire respecter il nomma vite une puissante milice

Qu’il révisa d’abord en lui enlevant le foie et le coeur

Depuis ce temps-là moi j’utilise des prismatiques

Pour adapter mon inconformité à certaine mécanique

Essayant de calmer mon âme enchaînée et qu’elle glisse

Courbe l’échine et s’affaiblisse

J’accepte l’idée que je me fais de la biologie mes erreurs

Seulement miennes car je suis imparfait et Dieu est mon Sauveur

J’accepte la mort de la Pomponette et mea culpa mea maxima pas de pleur

J’accepte l’État et l’organisation sociale qui me protègent du malheur

Dieu que plus personne ne retenait

Fit alors la mort pour la vie

La guerre pour la paix

Et changea l’ami en ennemi

Il créa ainsi la haine pour l’amour

La faim pour la nourriture

La loi pour la briser

Le prochain pour l’esclaviser

La tristesse pour le plaisir

La promesse pour le sentir

Pour la caresse le souffrir

Pour la tendresse le punir

Pour la sûreté l’angoisse

Pour la fidélité la double face

L’attente pour l’espoir

L’heure lente pour le désespoir

Le départ pour la rencontre

Pour le plus et le mieux le moindre et le contre

La violence pour la jeunesse

Les doléances pour la vieillesse

Pour l’homme droit l’esprit courbe

Pour le juste et le droit le vil et le fourbe

Pour la grandeur la petitesse

Pour la splendeur la bassesse

Pour l’économie le voleur

Pour le travail accompli le capitaliste profiteur

Pour le denier mis le banquier fraudeur

Pour la récolte finie l’intermédiaire investisseur

Pour le soin gratuit le bûcher des inquisiteurs

Pour la santé la maladie

Pour la bonté l’envie

Pour la justice les juges les huissiers et les avocats

Pour la liberté la police et l’État

Pour la paix et l’armistice la férocité des combats

Pour l’amoureux le viol

Pour la beauté le vitriol

Pour l’attrait le rejet

Pour l’individu la foule

Pour l’inconnu le moule

Pour le mot et la théorie la publicité et la propagande

Pour la liberté d’expression les partis et les bandes

Pour la vi solitaire le meurtre collectif

Pour la variété de la terre le sacrifice votif

Pour la calme raison le préjugé gueulard

Pour la maison le nocturne saoulard

Pour tout Marx son Staline

Pour les masses anonymes

Pour la fierté le genou

Pour le faible le plus fort

Pour l’intellectuel la Révolution Culturelle

Pour la moitié le tout

Pour le verbe le meurtre d’honneur

Pour la semelle la gabelle

C’est ainsi que certains comprirent que l’humanité était laide

Mais que du Ciel il ne fallait attendre aucun remède

Qu’ils ne pouvaient vivre qu’entre les hommes

Et que l’Espoir était mort à la moitié d’un autre sordide siècle

Sous les flèches d’un Anti-Éros espiègle

Dans un stade à Santiago et à Paris dans un vélodrome

MES TRISTES TROPIQUES

Je les ai tous connu

Ceux qui reviennent oncles d’Amérique

Leurs périples reconnus

Moi je reste dans mes Tristes Tropiques

Ouvreurs d’inconnus

En ouvrages de taxidermie ethnique

Demandez-leur de tout ils sont revenus

Le compte-rendu exhaustif de leurs trois semaines aux couleurs exotiques

Du Zócalo au Rio de la Plata et La Monnaie ils vous ont entretenu

Porte-monnaies de faux cuir plumes peintes et céramiques

Le précolombien leur va bien quand de Paris ils reprennent les avenues

Faux Trotsky Cortázar encyclopédiques

Il y a aussi les peintres parvenus

D’abord expressionisme abstrait puis Cobra tout est sûr de Jamaïque

Et puis L’OEuvre qu’il expose enfin parvenu

Loin de Zola dans cette Amérique

New York ou Boston le Village tout est convenu

Pompidou puis le scénario cinématographique

Et les vendeurs de faux or de faux diamants muscles survenus

En émissions télévisées et colt de plastique

Et les vieux cinéastes qui n’ont rien retenu

Evita Huguito et fuite de Batista le vieux Mythe qu’on astique

Vieux dictateurs rumineux

Et Wall Street ou Caïmans-crocodiles tout est sophistique

Un Hemingway un peu plus vineux

Fond de commerce et autres Borges francophiles selon la saison eurocentriques

Transfuges intellectuels machistes et anciens comtiens pratiques

Qui d’un continent terminent leus manifestes contenus

Dans les universités de l’hémisphère rappelant leur origine tragique

Dans la guerre commandants étoilés dans nos constellations d’ONU

Anciens astronautes ou civils rhétoriques

Qui dans de vieux draps devenus

Spécialistes en littérature hispanique

Quand à moi tel Cendrars retenu

Si vous voulez me croire parti pour foutre le camp n’arrivais nulle part point de haricot magique

Et faute de meilleure opportunité pirate sur la quille tenu

Seuls les lâches savent se faire riches ne garde que mon Strauss et mes Tristes Tropiques

Il y a aussi bien sûr les filles aux jambes magnifiques

Et mon âme chenue

BALTHASAR

Il resta trois semaines insensible et comme mort, puis, s’étant ranimé le vingt-deuxième jour, il saisit la main de Sembobitis

(Anatole France, ’Balthasar’)

Si le silence

A ses efforts

À hauteur

D’homme gésit la décadence

Dans la clameur

Des évidences

Les autres dansent

Sur un malheur

Caligula les corps

Se lancent

Et brûle trop plein ce

Qui demande l’accord

Émir arabe et shah persan se

Disputent encore

La myrrhe et l’or

Que tu dépenses

Avide l’état des ports

Étend sa panse

Et les frais du dégoût évincent

L’idée d’aller dehors

LES DUNDOS WHO...

Les dundos Who qui se tatouent

C’est faute de cicatrices qui zurcan leurs corps

Et les vitores dispersos du cuer

Luy saluent l’innocence que taboue

Et dis qui quand que ne doux

Dis-je moi au volatile

J’ai goûté mon sang dans ma bouche

Et j’ai aimé ça

Pourquoi eux non

C’est parce qu’ils vivent grégaires

Au lustre les monstres du catre

Cy sous sueur sous le pont l’heur

Et seul él allète l’être les murs

Comme Humpty chagrin vidé la peau espère la fête

Mais merde dim-dam-dum

Le conte de Chaucer vaut moins que del bulero

En fait oui c’est la triste morale de nos appeaux

Le conte de Chaucer vaut moins que del bulero

Tu crois ta croix d’accrocher aux rideaux cramés

Dis-je moi au volatile

J’ai goûté mon sang dans ma bouche

Et j’ai aimé ça

Pourquoi eux non

C’est parce qu’ils vivent grégaires

LETTRE AUX MARQUISES

Ils parlent de la mort comme tu parles d´un fruit
Ils regardent la mer comme tu regardes un puits

(Jacques Brel, ’Les Marquises’)

Écoute les chiottes bruire dans le silence du matin

Et tu sais que tu pars en voyage

Dans l’anonymat des salles d’urgence ou de train

Personne d’autre qui t’accompagne que ton maigre bagage

Vas pauvre Typhon sur ton triste chemin

Traîner ta misère d’un autre âge

Entre les restes sans lendemain

Et que d’autres reçoivent les insignifiants hommages

Ce ne sont que des os entre les dents de ces chiens

Qui sous ton toit monétien de sinistre plumage

N’offre visitation que les lundis bruyant ramage

Des déroutés en partance qui virent pour rien

Dans ce sordide quotidien

Dont l’Éloge dit qu’il vaut bien

Ce que les dommages

Écrasent encore d’inconnus rivages

Que t’importe à toi l’Indien

Qui ne vit que de repérages

Derrière les vitres closes de tous les parages

Où tes pas te poussent sans fin

Tu mourras un jour d’ennui ou de marivaudage

Entre les planches de ton squelette ton âme sans soutien

S’élévera peut-être vers les nuages

Ou simplement tombera dans cet oubli dont personne jamais ne se souvient

UN POÈME DE DÉSAMOUR

Il suffirait de presque rien
Peut-être dix années de moins
Pour que je te dise ’Je t’aime’

(Serge Reggiani, ’Il suffirait de presque rien’)

Bien sûr tes cheveux tes yeux tes ongles

C’est comme une maladie qui ne veut pas s’arracher

Les souvenirs avec lesquels on jongle

Et les insultes qu’on s’est crachées

Les petits enfants ont peur de la solitude

Alors ils se satisfont de l’habitude

Et ces Reines du Bus qui sont merveilleusement quelconques

S’exportent de notre amour le furoncle

Le symptôme et le diagnostique

Maudit le professeur et maudite l’arithmétique

Couchés amoureux aux feux chauds de l’Afrique

Nous finîmes comme tous dans les glaciers de cette froide Arctique

Ce toit tranquille, où marchent des colombes, 
Entre les pins palpite, entre les tombes

Si Chérie je sussurre sans cesse ces sentiments

C’est qu’en silence je ressens

L’ombre sombre

Corrompue de décombres

Et de misère de nos élans

Pris de lierre et d’enterrement

O pour moi seul, à moi seul, en moi-même,
Auprès d’un coeur, aux sources du poème

Ô Daphné de Pénée

Ô Éros ô Psychis

Ô Céphale sans Procris

Fille du Soleil solitaire aujourd’hui et apeiné

M’en souvienne ces autres temps où dès l’aube grise

Mes yeux penchés contemplaient ses jeux vibrants sur ton cutis

De la lumière gênée

Qui n’osait encor toucher tant de beauté éthique

Aujourd’hui en vain passé après tant d’années

Le temps de persuasion Anne était devenue étique

Nous nous frôlons comme les chats

Évitant le contact nous essuyant les pattes

Nous vivons comme les oiseaux en cage

Éloignés sur le même bout de natte

Essayant la politesse évitant l’orage

Danseurs promouvant l’élégance des entrechats

Coulent les heures coule la rage

Chaque minute qui sonne ingrate

Vêt de gréements l’inconditionnel naufrage

DES JOURS SANS FAIM

Les yeux morts de votre Destin

Et votre anormale normalité

La perpétuelle transmission de votre séquence chronologique

De génération en génération

Chacun essaie d’être ce qu’il peut

Et personne n’en a rien à faire

Vous êtes l’antichambre de l’éternité

Que je n’accepterai jamais

La fleur et l’arbre

L’oiseau sur la branche

Et l’onde sur les blés

La vague et le goëland

Vous les voyez sans les regarder

S’ils sont là vous ne les sentez pas

Et s’il n’y sont pas ils ne vous manquent jamais

Vous parlez avec légéreté

Des choses graves

De l’odeur et des sensations

Comme pour la morale

Parce que cela fait bien

Ça vous distingue

Mais vous ne savez pas jouir

Plus fortes et plus dures doivent être vos expériences pour vos coeurs endurcis

LSD tabac alcool rituels sanglants le cirque aussi

Finalement

Que valent pour moi vos âmes viles

La violette la rose ou le rossignol

Sa forme mignonne sa gorge coquette son chant docile

Que le monde disparaisse

Toi sa victime

Pour qu’il te laisse

Aches from aches

Ce qui tu construis depuis les cendres

VOLUMES D’HISTOIRE NATURELLE

Pour les maux et les affections de l’oreille.

XLVIII. Pour les douleurs et maux d’oreilles, on recommande l’urine de sanglier gardée dans un vaisseau de verre. Le fiel de porc ou de sanglier, ou même celui de bœuf, avec de l’huile de ricin et de l’huile rosat, par portions égales , produisent le même effet. C’est surtout le fiel de taureau qu’on emploie avec succès : il faut le chauffer avec du suc de porreau, et, s’il y a suppuration , avec du miel : seul, chauffé dans une écorce de grenade, il dissipe la mauvaise odeur des oreilles ; avec du lait de femme, il guérit les déchirures du même organe : quelques médecins veulent qu’on s’en bassine les oreilles, si l’on a l’ouïe dure ; d’autres lavent les oreilles avec de l’eau chaude, puis font appliquer un emplâtre de fiel, de vinaigre et de vieille peau de serpent, enveloppé dans de la laine. Si la surdité est considérable, on fait chauffer le fiel dans une écorce de grenade, et on l’introduit dans l’organe, avec de la myrrhe et de la rue ; on y injecte aussi du lard gras et du crottin d’âne frais avec de l’huile rosat, le tout tiède. Mieux valent encore l’écume de cheval ou les cendres de crottes de cheval avec de l’huile rosat ; on use aussi de suif de bœuf avec de la graisse d’oie, de beurre frais , d’urine e chèvre ou de taureau, ou de vieille urine de foulon chauffée au point de faire sortir la vapeur par le col du bocal ; on ajoute un tiers de vinaigre, avec un tiers d’urine de veau qui n’ait pas encore goûté d’herbe. On applique aussi aux oreilles, après les avoir chauffées, un mélange de bouse et de fiel de veau, avec la dépouille d’un serpent, le tout enveloppé dans de la laine. On emploie aussi avec avantage, pour les maux d’oreilles, du suif de veau avec graisse d’oie et suc de basilic ; des injections de moelle de veau avec du cumin broyé, et du sperme de verrat recueilli sous la truie avant qu’il soit tombé à terre. Aux déchirures d’oreilles, on applique une colle de testicules de veau ; cette colle doit être délayée dans l’eau. Pour les autres maux de cet organe, on emploie surtout la graisse de renard, le fiel de chèvre, avec de l’huile rosat tiède, ou du jus de porreau, et, s’il y a quelque partie déchirée, avec du lait de femme. Si l’on a l’ouïe dure, on applique du fiel de bœuf avec de l’urine de chèvre ou de bouc ; même procédé, si l’oreille rend du pus : dans tous les cas cidessus, on regarde les remèdes comme plus efficaces, si on les fume vingt jours de suite dans la corne d’une chèvre. On recommande aussi la présure de lièvre à la dose d’un tiers de denier, avec un sixième de denier de sacopenum, dans du vin aminéen. La graisse d’ours, avec poids égal de cire et de suif de taureau, dissipe les glandes des oreilles. Quelques-uns ajoutent à ce remède de l’hypocisthide et du beurre, sans autre addition ; mais il faut préalablement bassiner à chaud les oreilles avec une décoction de fenugrec, et mieux encore avec le strychnos. On emploie aussi avec succès les testicules de renard et le sang de taureau sec, en poudre ; enfin en injecte chaude, dans les oreilles, de l’urine de chèvre, et on fait un li ni tuent de ses crottes avec de l’axonge.’ (Histoire naturelle de Caius Plinius Secundus, traduction d’Ajasson de Grandsagne, Paris, C.L.F. Panckoucke, 1833, T. XVII, pp. 127-131)

T’en as vu passer des tatoués des barbares

Des sympas des concupiscents

Dans les institutions dans les ambassades

Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras

Et oui tristes Tropiques

Tu les vois changer les poids

Et les mesures au tamis de la chance et des accolades

Il y aura toujours un dictateur turgescent

À sudoyer à agasajar

Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras

Et oui tristes Tropiques

Et partout où gît le hasard

Et l’opportunité avec le cheveu rare

Du tyran

Qui dans ses bûchers brûle les ennemis et l’encens

Buveur de cycéon Asura

Tu verras déborder les monnaies d’autres États

Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras

Et oui tristes Tropiques

La misère partout comme les rats

Et au centre l’étendard

Les corps plus que les gens

Et transformée en symbole la vieille histoire

Les fêtes et le nard

Le cirque le pain et le géant

Cyclope dansant

Dans le noir

Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras

Et oui tristes Tropiques

Et au fond de la caverne le silence et les Moires

Et le peuple qui attend soumis comme toujours et consentant

Le moment

De jeter au ciel son cri Iacchos en aubade

On me dit d’applaudir ces donna prima

Elles sont belles nos mascarades

Où coule parfumé l’or de nos galas

Réceptions en consulats

Et accords en camades

Belle et élégante Europa

Dans l’Amérique des Héliades

Soumise encore à de cruelles dyades

Soleil n’est-ce pas merveilleux ton cadavre aux yeux de jade

Alors sur son berceau du monde se penchent les rois

Ils ne viennent pas ensevelir ils viennents comme les charognards

Ils déchirent la chair vive et consomment leur soma

Ils n’offrent que ce qu’ils n’ont pas

Et leur rire en éclats

Sur l’Olympe escalade

Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras

Et oui tristes Tropiques

Vous croiriez qu’ils ne tendent pas la main au pugilat

Qu’ils sont jaloux de la mitraille et sensibles aux soutes d’en bas

Mais au fond ils aiment les tirades

Et les nombres de l’alphabet à la fain ne sont que des contrats

Dans un miroir qui n’est qu’extrêmement plat

Ils ne voient pas ce qu’ils regardent

Et n’entendent aux conseils je crois

De Pline de leurs ouïes pleines d’urine et de sperme en pommade

Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras

Et oui tristes Tropiques

Et les acteurs avec leur gloire

Descendent dans ces lares

Pour recenser depuis le vide ils ne sont que lads

L’odeur des sacrifices au soleil où ils s’évadent

Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras

Et oui tristes Tropiques

Quel sinistre bois

Par ma foi

Et le deuil

Qui affleure

Ces arbres qui pour obtenir quelques fleurs

Doivent perdre toutes leurs feuilles

Quelle posture misérable

Sous le soleil tropical

Celle de l’animal amigable

Qui s’offre sans culture

Comme sur le linceul de la sépulture

Le corps inanimé frappé d’hébétude

Dans tout ce qu’elle a deplus banale

Où sans projet restent l’offrande et l’habitude

Et toi avec ton Lévi-Strauss sous le bras

Et oui tristes Tropiques

DU CHAT DE SCHRÖDINGER

— Ce Lébédeff conspire contre vous, prince, je vous l’assure ! Il veut vous faire mettre en tutelle, — pouvez-vous vous imaginer cela ? — vous enlever l’usage de votre volonté libre et de votre argent, c’est-à-dire des deux objets qui distinguent chacun de nous d’un quadrupède !

(Dostoïevsky, L’Idiot, IV-X)

Mon Georges vieil ami

Voudrais comme tu le fis

Mais vrai je ne le puis

Chanter allégeance

Au voleur aguerri

Car vois ce que je dis

Pour que mon chant danse

Derrière lui n’oublie

Guitarre ni chance

Moins honnête le mien

Aura fait tout mon bien

Tout d’un seul coup le sien

Ne laissant que plume

D’où sur un bout de rien

J’écris le mien chagrin

Et redis posthume

À mon deuil ce vaurien

De justice a les mains

Voilà le juge feint

Plus faux que son copain

Qui de perruque peint

La Loi qu’il embrume

Offrant au plus vilain

Le prix de mon larcin

De bonne coutume

Prétend donner le teint

Et je plois sous l’enclume

Voilà que de ma mère

Médée et misère

Son Munch Mün

Mue commune

Son cold cchau

Chaud froid chaud

Et en sen

Dit pas zen

Lapin et visière

En chat de Schrödinger

Écho vain

Sans caillou en chemin

L’ont muée les Tribunaux

Vive mais au caveau

Dis-moi la compaigne

Si la vois quand l’emmènent

Jaunisse dans baleine

Et chemise de force pour toute gaine

L’appelant met chapeau

Bas devant le salaud

Tutelle appel enfin

Quatre-cent-trente-et-un

Article code shrink

À quoi tout cela sert

Sa pension pour l’État

Son péché les Euros

Son argent en Enfer

Mieux vaut n’en avoir pas

Si mourir veut chez soi

Si mourir veux chez toi

Et toujours le juge

Bon complice au parfum

Agite drapeau rouge

Et amende malin

Met pour taire témoins

Voir est vraiment louche

Dit à cent-quatre-vingt

Mieux vaut tourner là l’oups

Le choix impose l’us

Témoin ou vivre bien

La nuit le silence

Sont les apanages

De l’Aide aux Familles

À un certain âge

Le loup qui se lance

N’aime pas que brille

Le vampire en trance

Goûtant l’albumine

Rien qui l’illumine

Qui sommes-nous au fond

Pour regarder nos Dieux

Au Ciel lever les yeux

On ne demande pas

À Jéhova pourquoi

De l’UDAF la gestion

À la Cour de Poitiers

Raison des décisions

Du juge de Fontenay

Et ma mère je dis

Que je ne connais plus

Dans une boîte à Cannes

Existe comme Si

Algébrique inconnue

Immatérielle

N’ayant plus rien d’elle

Perdue dans son Flatland

Des Alpes Maritimes

Cannes Monte-Cristo

Quand n’était que Dantès

UDAF de Nice

Some nice in Nice

Une fin bien déliée

J’aimerais un peu digne

Mais l’administration

Que l’on dit française

Ne vit que de fiasco

Ne vit que de fiasco

PONT ET RENVOI

Chat de Schrödinger

Ou de Cheshire

Quand personne ne t’aide

Tu ne peux pas te donner

Le luxe de tomber

Alors je reste

Fidèle

Seul sur la planète

Firme et raide

Il n’y a pas de données

Et le futur

Est toujours

Après

Combray

Elle est tombée

Dans le trou du lapin

Blanc

Et le liquide de la fiole et de Skrymir le gant

Et diminuée elle a disparu

Puis ils l’ont brisée

Plus de demain

Et de la revue

La trompette a sonné

L’alizée

Elle s’est cassée

Humpty

Sur le mur

Et la Reine

De Coeur

Lui a coupé la tête

Qu’à présent elle traîne

Dummy

En deux dimensions

Cercle prison

Cône arête

Angle du Poème droit

Le Corbusier

Ils veulent te mettre

Pauvre bête

Sous tutelle

Te quitter ta liberté

Et ton argent

Pauvre gens

Les deux choses

Pauvre chose

Qui Daudet

Nous distingue des quadrupèdes

Idiot

Seul te sauve

Cour de Cassation

Toujours

À l’UDAF donne

La raison

Est la Mort

Le cas la cause l’action et l’instance tombés

Ou la puberté

Devenir adulte

Toi trop vieille

Seule t’indulte

L’insulte

À la vérité

De la Muerte

Tu as bu le poison

J’ai chanté la chanson

Verde verde que yo quería verte

Mais au téléphon

Y’a jamais person

Qui répond

OK

Je vais te chanter

Combray

Vieille morte

Femme Forte

Hippolyte ou Penthésilée

Et moi Hector

Triste chant

Pas de Tristan

Cordélie

Au bord de mon lit

Gît l’onde claire

De tes jours ensevelis

Et la belle mariée en ses fers

UN MALENTENDU

Au poète et ami Pierre Blavin,

Avec toute mon estime

Le mieux est parfois, pour le narrateur, de se borner au simple exposé des événements. C’est ce que nous ferons dans nos éclaircissements ultérieurs sur la catastrophe qui vient de bouleverser la vie du général, puisque nous voici dans l’obligation absolue d’accorder malgré nous à ce personnage de second plan plus d’intérêt et de place que nous ne lui en avions réservé jusqu’ici dans notre récit.’

(Dostoïevsky, L’Idiot, IV-3)

I. Mon Explication nécessaire

Mais nous voici fort loin de notre sujet, qui était de donner quelques éclaircissements sur la famille des Epantchine.

(Dostoïevsky, L’Idiot, III-1)

Superbe, il me dit : ’Vous n’êtes pas vous-même.

Il aurait pu me dire : ’Vous avez mauvaise mine’, ou bien encore : ’Vous semblez avoir passé une mauvaise nuit, vous n’avez pas l’air dans votre assiette’. Mais non. Il dit clairement : ’Vous n’êtes pas vous-même.’ Que faire ? Que dire après cela ?

Et il ajouta, après quelques secondes de réflexion, en me regardant comme attristé : ’Je ne vous reconnais pas.

Évidemment, s’il s’agissait d’un texte russe, de Dostoïevsky par exemple,...

Précisément, précisément... Je me serais évanoui, et on n’en parlerait plus. J’aurais sans doute même pu trouver logement, temporaire, chez lui.

Il y aurait eu une suite d’actions, liées à la nationalité réelle, et l’esprit vraiment, dans ce cas, français (plus que russe), et de réflexions subséquentes sur le progrès, à travers de phrases dites à demi-exprimées, et de tensions psychologiques qui empécheraient de dire tout ce que l’on pense, l’idée était trop avancée pour la parole.

Mais je n’exposerai rien de cela.

Au milieu, se serait nouée une relation tragique avec une femme, extrêmement belle, et extrêmement pure, mais en même temps extrêmement méchante, et orgueilleuse, qui nous aurait tous perdus. Avec la figure, parallèle, d’une prude et simple jeune fille, peut-être soumise aux disgrâces qu’impose la misère, vouée par là même à mourir ou à être rejetée par le personnage principal, après que celui-ci l’ai convaincue qu’elle valait la peine que l’on s’attachât à elle. Mais, repenti, il se serait rendu compte que la société le rejetterait pour s’associer avec une femme perdue. En principe, ça n’aurait pas dû être un problème, puisqu’il est maladif, retiré du monde, vit enfermé entre ses livres et la boisson, et que tout le monde le méprise, mais il semble là aussi que l’idée du rejet soit plus forte, pour la trame narrative, que le rejet, qui en fait n’aurait que difficilement pu se donner, puisqu’il était déjà effectif, avant la rencontre.

Mais je n’aborderai aucun de ces détours dialectiques gratuits.

Je veux dire qu’il n’y a aucune raison psychologique aux circonstances que je vais décrire.

Le lecteur ne devra pas y chercher de seconde intention, ni de démonstration basée sur une fausse psychologie de caractères, comme les romanciers cherchent souvent à le faire.

Aucune pression externe, ni interne, on le verra, ne détermina l’enchaînement des événements - en réalité un seul, suffisant en lui-même - que je décrirai.

Il n’y aura pas de concaténation entre des tempéraments, ni d’assomption douloureuse par aucun type de révélation.

Je décrirai les faits, incompréhensibles encore aujourd’hui pour moi, comme je les ai vécus.

Simplement.

Je ne tirerai non plus aucun Podkoliossine par la fenêtre.

Je ne ferai que rapporter les faits comme ils se sont passés.

Je ne me rabaisserai à aucun effet de manche, comme Lébédev, ni ne prétendrai rien de plus que représenter l’action telle qu’elle s’est produite.

Pour cela, je n’y introduirai aucun personnage secondaire d’importance, afin de dévier l’attention du lecteur, ni aucun narrateur qui ne soit pas moi-même, ni aucun personnage, ni aucun ménage à trois potentiel. Je me concentrerai donc, uniquement, en mon Ivan Matvéïtch, ni en Éléna Ivanova ni en son ami. Qui d’ailleurs n’apparaitront même pas dans cette narration, curieuse mais absolument véridique, j’en peux en donner absolument ma parole d’honneur, de la manière dont j’ai définitivement disparu.

On ne pourra, évidemment, pas me le reprocher, pas plus qu’à Matvéïtch, puisque cela fut contre ma volonté, et qu’au contraire de celui-ci, je n’y ai pris aucune part, je crois, ni active ni passive.

Je me suis contenté, comme simple spectateur, de tirer les conséquences d’un acte qui ne serait apparu dans aucun journal, même pas dans L’Indépendance belge.

Je passerai outre, sans doute, les métaphores grotesques entre les assassinats multiples de moines du Moyen Âge et les actuels temps d’Apocalypse que nous devons vivre. Je ne prétendrai rien sortir du fait que mon cas ne relève pas de la justice, et que, grâce à Dieu (qui n’existe pas), s’il en dépendait, elle ne pourrait rien y faire. On sait, en effet, que la justice, dernier échelon du système, après le crime, la police et la médiation, représente, dans cette excentricité propre qui est la sienne, l’intérêt que l’on a à ne pas y recourrir. Les juges sont méchants, on le sait, partisans et mal formés. Ce sont, dans la loi et la société actuelle, les Quasimodo de la cathédrale de papier et de ronds-de-cuir du système contemporain.

Mais commençons par le début.

II. Un rêve

Un sentiment nouveau et pénible lui serrait le cœur ; il comprenait soudain qu’en ce moment, et depuis longtemps déjà, tout ce qu’il disait, tout ce qu’il faisait, n’était ni ce qu’il aurait dû dire, ni ce qu’il aurait dû faire...

(Dostoïevsky, L’Idiot, IV-11)

Ce matin-là, je me suis vite réveillé.

Je venais de prendre le journal du matin, et relisais un article d’intérêt, qui commençait par cette phrase :

Il se passe des choses étranges dans ce pays.../...

Et qui terminait ainsi :

C’était un vieux marchand barbu, qui n’avait pas d’enfants ; il laisse un héritage de plusieurs millions en belles espèces sonnantes, et tout cela passe à notre rejeton, à notre baron guêtré, naguère traité comme idiot dans une maison de santé helvétique ! Aussitôt changement de décors ! Autour de notre baron guêtré, qui s’était d’abord toqué d’une demi-mondaine célèbre, se réunit soudain une multitude d’amis, il se découvre même des parents ; bien plus, tout un essaim de jeunes filles nobles brûle de s’unir à lui en légitime mariage. Peut-on en effet rêver un parti plus avantageux ? Aristocrate, millionnaire, idiot, il a tout pour lui ! On ne trouverait pas son pareil même en le cherchant avec la lanterne de Diogène ; on ne se le procurerait pas, même en le faisant faire sur commande !…

Je restais pensif un moment, car la cuisinière de ma logeuse, qui m’apportait tous les jours mon déjeuner à huit heures, ne sétait pas encore présentée.

Ce n’était jamais arrivé.

J’attendis encore un instant, puis, affamé et étonné tout à la fois, je sonnai la bonne.

À ce moment on frappa à la porte et un homme entra que je n’avais encore jamais vu dans la maison.

Ce personnage était svelte, mais solidement bâti, il portait un habit noir et collant, pourvu d’une ceinture et de toutes sortes de plis, de poches, de boucles et de boutons qui donnaient à ce vêtement une apparence particulièrement pratique sans qu’on pût cependant bien comprendre à quoi tout cela pouvait servir.

Qui êtes-vous ?’ demandais-je, en me dressant sur mon séant.

 

Mais l’homme passa sur la question, comme s’il était tout naturel qu’on le prît quand il venait, et se contenta de me tendre un pli fermé et scellé.

Puis, gardant toujours le silence, il sortit avec lenteur, en refermant doucement la porte de mon logement derrière lui.

III. La main du Commandeur

— Hum… Voyez-vous, ce n’est pas de cela que j’ai peur. Je suis ici pour annoncer et tout à l’heure le secrétaire va sortir. Ce serait seulement dans le cas où vous… Puis-je vous demander si vous ne venez pas chez le général comme besoigneux, pour solliciter un secours ?

(Dostoïevsky, L’Idiot, I-2)

C’était une missive du Commandeur X. où il me faisait savoir en urgence qu’il m’attendait immédiatement pour que je me présente à lui dans son bureau en moins d’une demi-heure. Il m’invitait prématurément à la réunion que nous avions projetée la veille, chez Mme P., veuve du Prince de K.

Je connais le Commandeur depuis l’année ****, quand il gouvernait encore la province de D***, sous le régime de l’Ancien ***.

J’essayais en vain de comprendre pourquoi cette urgence, et l’insistance à une réunion que nous n’avions envisagée qu’en dernier recours.

Bien sûr, je m’imaginais que l’intervention, caractéristique, de Mme S*** de K. devait être à l’origine de ce brusque appel.

Je continuais en outre de penser à l’article du journal. Me demandant s’il avait quelque chose à voir avec ce brusque changement de plan.

Je déjeunais donc rapidement ce que je pus trouver dans la cuisine de ma logeuse, anormalement déserte, et m’habillais dans le moins de temps possible.

Il faisait froid et les rues étaient encore vides lorsque je m’acheminais enfin vers le Pont Bleu, qui traverse la Moïka, pour rejoindre l’appartement du Commandeur X., après avoir recommandé à ma logeuse que, s’il envoyait un nouveau messager pour moi, elle lui dise que j’étais déjà en route.

IV. Un fâcheux malentendu

Mais s’il est si difficile et même tout à fait impossible de comprendre cela, se peut-il que je sois coupable parce que je n’ai pu concevoir une chose qui dépasse l’entendement ?

(Dostoïevsky, L’Idiot, III-6)

Arrivé cependant devant la porte de l’imposante Résidence d’été de la famille du Commandeur, grand immeuble sombre de trois étages, sans style, dont la façade était peinte, le laquet qui m’ouvrit ne sembla pas me reconnaître, et, surpris, j’eu toutes les peines du monde à ce qu’il accepte enfin de me faire entrer dans l’antichambre, où, en silence et préoccupé, j’attendais d’être reçu par le secrétaire particulier du Commandeur, me demandant quelle excuse j’allais pouvoir invoquer pour ma présence si tôt le matin, et me préoccupant pour m’être trompé sur les intentions réelles du Commandeur, et m’être trop empressé de me rendre à un rendez-vous qui, au mieux, n’avait rien d’urgent. Je commençais à mettre la mauvaise volonté du valet à me recevoir sur une équivocation de ma part.

Mais ne sachant pas trop quoi faire dans la situation présente, je me contentais de marcher en rond dans l’antichambre, et de regarder la neige qui commençait à se répandre sur toute la ville à travers la fenêtre.

J’aurais pu prendre l’un des nombreux livres de la bibliothèque qui était là à cet effet, mais je n’avais pas l’esprit suffisamment tranquille pour pouvoir canaliser correctement mes idées.

Finalement, le secrétaire m’appela, et peu après je fus mis en présence d’un Commandeur X. au teint frais, et au sourire aimable.

Toutefois, il me regardait sans sembler me reconnaître. Il me laissa lui exposer l’objet de ma visite, qui s’expliquait par la missive que j’en avais reçu ce matin, et qui je tenais à la main, comme gage de ma bonne foi, et du fait que je n’étais pas fou.

Le Commandeur et son secrétaire se regardèrent en silence durant un long moment, lorsque je finis mon entrecoupé et désordonné récit des événements désastreux qui m’avaient amenés, par erreur, à me présenter si tôt dans cette demeure, dérangeant ainsi induement un personnage d’aussi haut rang et, sûrement, des plus occupés, comme devait sans aucun doute l’être le Commandeur, j’en étais convaincu.

Comme je ne savais pas quoi faire, je me tenais sur un pied, me balançant un moment, puis, en me retirant posément, pour ne pas les obliger à se retourner vers moi, et en faisant le moins de bruit possible, je m’approchais à reculons d’une chaise dans laquelle je m’asseyais sans la faire grincer. J’aurais en effet considéré comme un sacrilège, étant donnée ma situation dans cette affaire, de me détourner, ne serait-ce qu’un seul instant, de l’attraction visuelle que me provoquaient le Commandeur et son secrétaire, ou de les interrompre dans leur silence méditatif sur l’affaire par un bruit inopportun.

Je crois que passèrent ainsi cinq ou dix minutes.

Moi qui les contemplais, et eux qui se regardaient mutuellement, sans savoir quoi penser.

Au bout d’un moment, le Commandeur se retourna vers moi, et me sourit doucement, en fronçant les sourcils, comme il aurait fait avec un enfant.

Il me dit qu’il ne mettait pas en cause ma bonne foi, mais qu’il doutait beaucoup que je fusse qui je disais être, puisque lui-même s’était séparé de moi tard dans la nuit d’hier, ou tôt ce matin, comme on voulait, et qu’il était matériellement impossible que la personne que j’étais et qu’il connaissait fort bien, depuis un certain temps, ait été dans la possibilité physique et spirituelle de venir, à pied - il insista sur cette formule qui semblait avoir quelqu’importance dans son esprit -, jusqu’à son domicile, sous un prétexte aussi confus que celui que j’avais prétendu lui exposer.

Il ajoutait qu’il me connaissait très bien, mais qu’il ne lui était pas permis de me présenter à moi-même, car il pensait sincèrement que cela serait un manque de tact, disons de bon goût, et qu’en outre, il s’en persuadait chaque fois plus, je ne serais pas de mon propre goût.

Tout d’abord confus et choqué, je restai à mon tour en silence quelques secondes, pour regrouper mes pensées et saboir comment répondre à cela.

Puis, je le remerciais de son obligeance, bien que je lui affirmais que j’étais convaincu d’être de mon propre goût - j’insistai à mon tour, offusqué, sur le terme -, si se présentait l’occasion de me rencontrer moi-même, ou si, dans une réunion ou une fête élégante comme il en donnait souvent, et dans lesquelles j’avais eu l’insigne honneur d’être parfois invité, je me trouvais, par hasard, face à mon Autre. En effet, raisonnais-je, je pensais que j’avais le charme suffisant, et, sans me vanter, que je dominais avec un certain talent, bien que général et en rien spécifique, plusieurs thèmes d’intérêt contemporains, suffisamment en tous cas pour plaire aux dames et intéresser les hommes à ma discution. Je ne voyais donc, objectivement, aucune contradiction, réellement, j’insistai à mon tour, pour que je ne puisse pas m’apprécier, si je venais à me rencontrer au détour d’une de ses fameuses célébration, dont la capital parlait plusieurs jours encore après qu’elles se soient terminées.

J’espérais en outre que mon imprudence de ce matin ne l’empêcherait pas, à l’avenir, de continuer à avoir la bonté de m’inviter dans son Palais, à moi, mais aussi à mon autre moi, que, pour lui reconnaître l’autorité qui, comme Éminence, lui correspondait de droit, il croyait bon de situer dans mon appartement.

Je lui assurais néanmoins encore que je ne croyais pas que ma logeuse me laisserait entrer, si le moi qui revenait chez elle n’était pas le même moi qui en était sorti, et j’affirmais pouvoir encore confirmer par moi-même, pour en être le principal témoin, que je n’avais laissé aucune partie de moi dans mon logement en venant chez lui, ce qui rendait impossible, d’autre part donc, que l’autre moi, dont j’étais sûr qu’il ne pouvait au moins pas être dans mon logement, s’y trouvasse pendant que je m’entretenais avec son Altesse Sérénissime. Ceci dit avec tout le respect que je devais à la sagesse de son Altesse, et je m’excusais si j’outrepassais en cela mes prérrogatives, limitées j’en avais bien conscience face à son Éminence, et si mes propos pouvaient l’offensait en quoi que ce soit. Mais je ne pouvais accepter de le laisser démunir sans plus de mon identité. Cela n’était pas naturel.

Je crois que ma logique ne le laissa pas indifférent, et je dois dire que j’étais assez fier d’avoir pu démontrer que n’ayant laissé aucune partie de moi chez moi, il était impossible qu’en y revenant j’en trouvasse aucune non plus. C’était le bon sens et la logique qui s’exprimaient à travers moi.

Profitant du silence que le Commandeur et son secrétaire gardaient encore, en me fixant, apparemment fascinés par mon pouvoir de raisonnement, j’ajoutai, en brandissant la missive que m’avait faite parvenir ce matin même au réveil le Commandeur à mon domicile, et qui était la cause de ma venue, inespérée je le comprenais bien, mais nécessaire, dans ce cas, que, si la preuve de mon identité ne pouvait être en soi ma présence en sa demeure, je le comprenais parfaitement, elle résidait dans ma possession de la lettre qu’il m’avait faite parvenir. En effet, l’on ne pouvait mettre en doute ma qualité d’être qui je suis seulement en assumant un vol, qui n’avait pas pu se faire puisque le porteur m’avait remis en mains propres la lettre, et que j’étais venu directement, ou en pensant, ce qui paraissait incroyable et simplement illogique, qu’un voleur donnerait plus qu’à l’argent de prix à une missive qui, d’une certaine manière n’étant qu’une lettre de change nominative, n’avait par conséquent d’intérêt que pour l’intéressé en pouvoir de démontrer son identité.

Mon excuse était donc la lettre du Commandeur, qui par la force de son pouvoir m’avait amené, malgré ma volonté et celle du Commandeur.

Je lui demandais seulement de ne pas me tenir rigueur d’avoir rempli mon devoir envers la missive qu’il m’avait envoyée, sans penser qu’au mieux j’aurais dû premièrement choisir une heure de visite plus propice pour me faire annoncer. Je comprenais bien que tout était de ma faute, et que ce sinistre malentendu, dont j’assumais l’entière responsabilité ne pouvais, dans ses conséquences les plus funestes, que retomber sur moi.

Je me permettais toutefois de rappeler à son Éminence la certaine estime dans laquelle il m’avait fait la bonté de me tenir jusqu’à ce jour, et le suppliais de ne pas l’oublier et de ne pas m’abandonner pour, remplissant mon devoir envers sa missive, avoir manqué au respect de sa personne.

J’évoquais à continuation les efforts qu’avait représenté pour ma famille ma venue à la capitale, et les mérites que je croyais pouvoir considérés comme miens et que j’avais gagnés dans les cercles les plus élitistes grâce à mes attentions et mon intérêt pour servir le mieux que je pouvais les personnes au-dessus de mon rang, qui pouvaient m’être utiles. Je ne le faisais pas, réellement, par intérêt, direct dirons-nous, mais par intention d’un possible bénéfice futur. Je considérai donc ces attentions comme libres de tout soupçon de mesquinerie ou de petitesse.

L’attestait encore mon éloignement temporaire de la capital, qui expliquait peut-être en partie un possible changement de physionomie générale, pour l’air plus sec et plus chaud de la campagne, qui rendait plus difficile au Prince la reconnaissance de cet humble serviteur.

Le Commandeur m’écoutait attentivement. Il me coupa finalement d’un profond soupir, et m’assura qu’il n’avait aucune raison ni aucun désir de mettre un terme à ses relations avec mon autre moi, mais il s’excusa auprès de moi du fait qu’il ne pouvait me retenir plus longtemps, car il avait d’importantes affaires à traiter plus tard dans la matinée, mais, complémenta-t-il, bien que je lui semblais être un jeune homme en tout irréprochable et de bonne éducation, et aux manières des plus charmantes, il lui était totalement impossible de maintenir aucune relation avec moi, premièrement par respect envers moi, c’est-à-dire mon autre moi qui n’était pas là en ce moment, et aussi parce qu’il n’avait pas l’habitude de traiter avec des inconnus.

Je dus donc me retirer, ne sachant pas trop bien si me réjouir de sa permanence envers moi, bien que ce soit envers mon autre moi, ou me préoccuper et me désespérer de son insistance à ne pas vouloir me reconnaître comme étant moi-même le seul et l’unique moi que je me connaissais, et que, jusqu’où je pouvais en juger, il n’avait jamais connu, tout comme moi.

Je lui exposais, pour conclure, cette opinion catégorique, dont l’effet sembla beaucoup moins forte sur lui que ce que j’aurais voulu.

Je le remerciais encore pour m’accorder de manière si peu courtoise de ma part un peu de son temps si précieux, et, sans jamais lui donner le dos jusqu’à être mis définitivement à la rue par son secrétaire et son majordome, je me séparais de lui à reculons, comme les crabes.

Je crois qu’il fut touché par la délicatesse de cette attention, qui compensait un peu ma faiblesse antérieure.

Et voilà donc où j’en suis. Je revins chez moi, et fus reçu sans problème par ma logeuse, qui, je le lui demandais, me confirma qu’elle n’avait vu entrer ni sortir personne d’autre que moi, ni même moi, depuis que j’étais sorti ce matin pour me rendre chez le Commandeur X.

Soulagé, en un sens, d’avoir été reconnu par ma logeuse et de me m’être par rencontré avec mon autre moi, je me couchais sans manger, pris d’un horrible mal de tête, qui ne me quitta plus jusqu’au jour suivant.

Je ne peux rien dire de plus. Je ne sais pas ce qui provoqua ce triste malentendu.

J’ai beau lire et relire la missive que m’envoya avec caractère d’urgence le Commandeur X., je continue de croire que j’ai bien fait de me rendre tout suite chez lui, obéissant à mon devoir envers mon mentor.

Je ne sais pas pourquoi ce jour-là, précisément, ni sa domesticité ni lui ne voulurent me reconnaître, et je ne sais pas non plus ce qui passa ensuite, car je n’ai jamais pu remettre les pieds chez lui.

Il semble qu’il se soit obstinément décidé à ne plus recevoir que mon autre moi.

Parfois, caché derrière un porche, j’essaie de déchiffré entre tous les invités du Commandeur qui est moi et qui ne l’est pas.

Je sens aussi que j’ai perdu une partie de moi dans cette affaire, mais, ne l’ayant pas retrouvée, je ne saurais pas trop dire exactement laquelle.

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