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Le pari tenu de la Quinzaine littéraire 

lundi 17 juin 2013, par Maurice Nadeau (Date de rédaction antérieure : 15 octobre 2009).

Suite au décès de Maurice Nadeau, directeur de la Quinzaine littéraire, la RdR vous propose ce texte que nous avions publié en 2009.

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En des temps très anciens – celui du numéro 3 de La Quinzaine – une jeune femme, lunettes noires, accompagnée, vient me rendre visite rue de Nesle, dans le bureau prêté par le Club des Libraires. « Ma mère vous a écrit… » En effet, je viens de recevoir une lettre de Nathalie Sarraute – nous nous sommes connus durant la Résistance, j’ai publié Portrait d’un inconnu (préfacé par Sartre) – me demandant de bien vouloir m’occuper d’une de ses filles, Anne, qui vient de vivre une période difficile. « Elle est pleine de bonne volonté, elle pourra vous aider pour votre journal. » J’avais envie de faire plaisir à Nathalie. Je demande à Anne si je peux l’employer comme secrétaire.
« Il y aura du courrier, le téléphone, les services de presse qu’on commence à recevoir, les gens qui vont venir nous voir, les auteurs d’articles à “taper”…

– C’est-à-dire… » un sourire : « j’étais dans le cinéma… la photo… Agnès Varda, Chris Marker…

je ne sais pas “taper”… », nouveau sourire, « mais j’apprendrai… ».
Silence.

– Question émoluments, cela ne sera pas le Pérou. Nous avons déjà dépensé pour les deux premiers numéros l’argent qu’on nous avait prêté.

– Vous avez quand même l’intention…

– De continuer… ? Bien sûr ! Ne vous en faites pas, nous sommes au numéro 3, nous irons jusqu’à
1 000…

J’ai dit cela pour plaisanter. Je ne sais rien de l’avenir.Mais nous croyons à ce que nous faisons, Erval
et moi…Nous ne partons pas seuls. Erval a ses amis de L’Express. J’ai les miens, des Lettres Nouvelles.

Nous avons quelques relations et connaissances. Les deux premiers numéros ont été bien accueillis.

– Tiens, justement… voici un article de François Châtelet à dactylographier…

– Donnez, je vais essayer…

Chère Anne !

Le numéro 1 000… nous y sommes. Anne ne le verra pas, François Erval non plus, décédé il y a une dizaine d’années, qui nous quittait quatre ans plus tard, déçu de n’avoir pas trouvé les moyens financiers pour le grand hebdomadaire qu’il rêvait.Mon ambition était autre et plus modeste. Plus circonscrite également. Ne dépendre de personne, ni des puissants ni des amis, pas davantage de partis, ou de coteries. Il n’y avait qu’à regarder autour de soi pour voir où cela menait. Qu’aucune des lignes publiées dans notre journal ne soit suspecte ! Je n’en voulais pas plus. Il s’agissait là d’un autre « pari ». Les écrivains que j’ai sollicités pour ce numéro, les collaborateurs à qui j’ai demandé les raisons qu’ils avaient d’écrire pour La Quinzaine, tous disent dans ce numéro que cet autre « pari » a été tenu. Bien sûr, ils veulent me faire plaisir et à propos de ma personne ils en remettent un peu, mais ils sont fiers et heureux. Pourquoi ne le serais-je pas ?

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