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A propos de La maison muette de John Burnside  

lundi 22 septembre 2003, par Loup Bambois

John Burnside est né en 1955 à Fife, en Ecosse, où il vit actuellement. Poète reconnu dans son pays, il a obtenu plusieurs prix de poésie et vient de publier un premier roman terrifiant : un récit à la première personne d’un homme et de ses expérimentations immorales décrites d’une manière clinique.

Nous vivons ainsi les réflexions et les actes de cet inconnu qui dès le départ du livre prévient :
" Nul ne pourrait dire que ce fut un choix de ma part de tuer les jumeaux, pas plus qu’une décision de les mettre au monde. Ces événements s’imposèrent l’un et l’autre comme une nécessité inéluctable, un des fils dont est tissée la toile de ce que l’on pourrait appeler le destin, faute d’un mot plus approprié... un fil que ni moi ni personne n’aurait pu ôter sans dénaturer le motif entier. En revanche je décidai de procéder aux laryngotomies, ne serait-ce que pour mettre un terme à leur chant continuel (si tant est qu’on puisse appeler cela un chant), ce hululement qui saturait mes journées et pénétrait mon sommeil par la moindre fissure de mes rêves. Sur le moment, toutefois, j’aurais dit qu’il s’agissait d’un acte logique, d’une étape de plus dans la recherche que j’avais entreprise presque quatre ans auparavant.., la seule expérience éminemment importante que puisse mener un être humain : trouver le siège de l’âme, ce don unique qui nous différencie des animaux ; le trouver en instaurant tout d’abord une carence et ensuite, plus tard, en procédant à une destruction logique et nécessaire. Je fus surpris de la facilité avec laquelle je pus opérer sur ces deux êtres à demi dégrossis. Ils existèrent dans un autre monde : celui des rats de laboratoire, ou l’espace mouvant et dénué de fonction du véritable autisme. "

Tout l’univers du roman apparaît ainsi dès ce premier paragraphe. Nous avons affaire à un monstre qui nous expose, nous met sous les yeux, et représente ce dont la norme nous garde, ce dont la norme nous éloigne et nous protège. Le narrateur nous confronte à cette part invisible, indicible, que la norme tient à distance. Pourtant le narrateur nous parle de nous-mêmes sur un mode subversif. Notre question, et c’est bien de là qu’il faut partir, est de savoir ce qui constitue le sujet humain et si le détour par le monstre peut nous y aider.

C’est justement la question que se pose le narrateur. Ou se situe l’âme ? En quoi la parole nous différencie des animaux. Pour cela le personnage central du livre se livre à des expériences. Fasciné par la légende de la Chambre sourde-muette du Roi Akbar de Moghul, où des enfants choisis ont été séquestrés dès la petite enfance afin de déterminer si la parole était une compétence innée ou acquise, il décide de mettre en pratique cette expérience. En effet la Maison muette raconte l’histoire d’une "expérimentation" sur deux enfants jumeaux élevés par le narrateur sans contact avec la parole humaine. La complicité des jumeaux dans le chant - le seul son qu’ils savent émettre - finira par excéder le narrateur, leur père, qui met fin à leur vie.

Le livre rend compte de l’équivoque jamais tout à fait contrôlée entre l’exception de nature et l’infraction au droit et pose la question du meurtre. Dans un texte admirable qui est le récit de sa déportation à Buchenwald, intitulé L’Espèce humaine, Robert Anthelme explique que la puissance du meurtre bute sur ceci qu’elle peut tuer mais non changer en autre chose et que ce que l’univers concentrationnaire fabrique, c’est précisément de la conscience irréductible. Et c’est justement ce qui arrive au narrateur. Il a beau tuer, rien ne change.

Le livre pose aussi la question de la conscience. La conscience n’est pas transparente à elle-même. Si nous pouvons justifier certaines de nos pensées, d’autres demeurent inexplicables : rêves, actes manqués, manies et phobies déroutent la conscience qui voudrait savoir qui sont ces intrus sans permis ni papiers, d’où viennent-ils et que veulent-ils ? Ainsi inquiète et désorientée, la conscience quête une explication qui lui permettrait à la fois de rendre raison de la présence de ces créatures sauvages et de les maîtriser. Le personnage lui n’a pas cette conscience-là, il va au bout de ses fantasmes et tue sans se poser de questions. Le malheureux individu perd ainsi sa liberté, sa dignité, sa raison et son éthique pour se transformer, comme le protagoniste de La Métamorphose de Kafka se mue en insecte, en ce même monstre vil et bas.

Que le lecteur prenne garde : La maison muette ne peut pas laisser indifférent. La pensée du narrateur est parfaitement construite. C’est un expérimentateur comme l’on été les médecins nazis. Il n’a aucune morale. Il dissèque des animaux vivants, complètement inconscient de la souffrance de ses proies. Les questions posées par le livre - l’humain aggravé et celle de son aggravation - ne sont pas prêtes de disparaître.

A travers ce récit terrible John Burside pose la question si actuelle de l’homme moderne et de sa part maudite. La maison muette est en cela un grand livre.

P.-S.

La Maison muette, éditions Métailié. Traduit de l’anglais (Ecosse) par Catherine Richard. 204 pages, 16 Euros.

Photographie © Niall Mc Diarmid

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