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Pourquoi « Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz » ? 

vendredi 19 mai 2017, par Mohamed Kacimi


Le lundi 22 mai 2017 à Paris, Maison des auteurs de la SACD, 17 rue Ballu, dans le 9è arrondissement de Paris, à 19h, le texte de la pièce de théâtre Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz de Mohamed Kacimi est mis en espace par Marjorie Nakache.


« Si le théâtre oublie le monde, le monde finira par oublier le théâtre. » Bertolt Brecht


Depuis quelques années j’anime, durant les fêtes de fin d’année, un atelier d’écriture à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Et ceci à l’initiative de l’association « Lire c’est vivre » qui gère plusieurs bibliothèques et dirige des cercles de lecture pour les détenues.
Passés les sas et les grilles s’ouvre un autre monde. Un monde qui grouille de silence. Des murs recouverts de fresques enfantines, des couloirs déserts, une odeur de lentilles et de détergents, des surveillantes en bleu qui croisent des bonnes sœurs en blanc ; et des nuées de corbeaux perchés sur les tours de surveillance.
L’atelier se déroule dans la bibliothèque. Aux murs, l’affiche du film de Nadine Labaki, Caramel. Sur la table des piles de livres, Soljenitsyne, Primo Levi, Stephan Zweig.
Les « filles », comme elles s’appellent toujours, arrivent fatiguées de leur travail dans les ateliers. Pour écrire, le réel, il faut être à un pas, à côté de la réalité. Écrire ici c’est creuser un chemin de traverse. Là, j’ai découvert, pour la première fois, la force inouïe des femmes face à l’adversité. J’ai vu comment la prison réagit sur les hommes, elle les broie, les écrase et en fait des monstres. Elle les fait monter, de plusieurs crans, dans la hiérarchie de la virilité. Elle est tout le contraire pour les femmes, elle les éteint, elle nie leur féminité, leur corps et même leur maternité.
Ainsi rayées de la carte, les femmes détenues se dessinent d’autres visages, d’autres parcours, d’autres vies pour pouvoir exister encore. Quelles que soient leurs peines, leurs délits, on sent comment, quand elles touchent le fond, très souvent, elles cherchent à échapper à leur condition carcérale par tous les moyens : le rêve, le délire, le rire, la folie ou, parfois, la mort.
Entre Noël et le jour de l’An, je prenais le bus 109 à la Porte d’Orléans. Tout le monde descend à la maison d’arrêt des hommes, et je continuais seul vers la « MAF », où l’espace d’accueil des familles est souvent vide. Les femmes ne sont pas censées aller en prison, aussi personne ne leur rend visite. Aux yeux de leurs familles, elles n’existent plus. Aux yeux de la société, elles ne sont pas à leur place.
Durant cet atelier, conçu comme une école buissonnière, j’ai connu des larmes, mais tellement de fous rires. Je me souviens du témoignage de Florence. Après avoir longuement évoqué les paysages de son enfance dorée à Berlin, elle raconte son arrivée à Fleury avant d’avouer aux filles qu’elle a trouvé, auprès d’elles, une humanité qu’elle n’avait jamais connue dehors. Elle travaillait dans l’un des grands cabinets de restauration pour les antiquaires de Londres, Paris et New York. J’ai découvert aussi les prisons d’Europe avec Sophie ; l’histoire de la musique dans les camps de concentration avec Hélène, le goût des livres avec Flora et Amélie, l’intelligence des corbeaux qui piquent tout aux détenues avec Marie, et la dérision avec Clara qui assurait, contre vents et marées : « Les murs, on s’en branle, nous les femmes ».
J’oubliais que j’avais en face de moi des personnes privées de leur liberté, tant elles semblaient libérées de tout.


Cette pièce se veut un hommage à ces femmes recluses, enfermées dans la plus haute des solitudes, souvent, trop souvent même, victimes de la violence des hommes, et qui, privées de tout, parviennent tout de même à réinventer un monde où elles jouent à ne manquer ni de liberté ni d’humanité.


M. K.


Avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Source FB.

P.-S.


Présentation de l’événement dans le site du Studio Théâtre de Stains — où retenir ses places pour la soirée à Paris (tél. 01 48 23 06 61).

En logo : le poster du spectacle.

1 Message

  • Pourquoi « Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz » ? 26 mai 2017 16:40, par Aliette G. Certhoux

    Donc lundi soir j’ai eu la chance d’assister à la mise en voix des comédiennes Jamila Aznague, Christine Citti, Gabrielle Cohen, Olga Grumberg, Marina Pastor, Irène Voyatzis, cristallines, lumineuses, dirigées par et avec la participation vocale de Marjorie Nakache, de cette pièce de Mohamed Kacimi "Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz".

    Un texte sans crier gare, au bout du compte époustouflant dans son élaboration lyrique, son dynamisme advenant en contemplation comme souvent le théâtre de Mohamed Kacimi, mais peut-être avec un texte plus complexe ici, s’agissant d"une pièce aux temps et aux espaces multiples mais à huis clos, onirique du fait de son unité de temps d’action et de lieu, du théâtre classique à l’abstraction.

    L’élégance des mots choisis, pourtant ordinaires, élève les situations humaines désastreuses ou philosophiques sans réponse (pourquoi être là), en les métamorphosant par une sublimation poétique — traversée des temps et des espaces contemporains des prisonnières, où le texte installe par le langage un déconstructivisme désordonné de leurs plans de réalité vécus et imaginés, jamais fantasmatiques, les souvenirs de leurs actes transformés par leur mémoire singulière, mêlés à des stéréotypes significatifs de la communication télévisée ou des réseaux sociaux, "subliminalement" interférents, en même temps que sublimatoires des ruptures.

    Un soir de Noël, la fiction rassemble plusieurs prisonnières comme si elles étaient libres d’aller s’attabler pour le dîner préparé par l’une d’entre elles, dans la bibliothèque — tout un programme, celui des mets : des livres, l’environnement interne et externe, la culture en question ; peu à peu la pièce est organiquement construite par le texte multiple et les présences vocales diverses structurent en continuum lyrique le rythme des arborescences de leurs récits partagés.

    Ce monde onirique des fictions vraies des femmes abusées par la violence des hommes jusqu’à se retrouver criminelles ou errantes, incarcérées par le fait de la loi, traduit comment par leur légèreté elles pourraient parvenir à vivre en étant privées de presque tout. Peut-être est-ce la condition de la plupart des gens en liberté quand ils sont dépourvus des ressources qui leur permettraient de vivre mieux que survivre ? Du moins trouve-t-on une résonance du temps social présent. La vie nue et tous les vêtements imaginaires dont elle se pare pour poursuivre d’être là, avant de s’éteindre avec la flamme ultime de la dernière allumette, et qui pourrait pourtant végéter encore et encore avant de disparaître complètement

    La perception de cette mise en voix m’a rappelé les grandes lectures préalables aux tournages des films pré-écrits ou de certaines séquences auxquels j’avais pu partiellement assister, plutôt qu’à des répétitions en scène, des moments techniques d’études rassemblant autour d’une grande table ou debout sans décor, où tout se posait, le ton les caractères et les rythmes — ici trouvés, préalables à la suite....

    La pièce sera créée au printemps prochain sur la scène du Studio Théâtre de Stains. J’ai hâte de la découvrir.

    https://www.studiotheatrestains.fr/newsite/retour-en-image-de-tous-mes-reves-partent-de-gare-dausterlitz-maison-des-auteurs-sacd/

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