La Revue des Ressources

Le Bonheur est un twist  

L’été 2017

jeudi 3 août 2017, par Pacôme Thiellement


* Avant le premier mois d’automne le déclin de la lumière du dernier mois d’été installe secrètement dans la mélancolie qu’il inspire le bonheur imprévu d’un été de la Saint Martin à venir — parfois [1]. Or c’est le tout dernier jour d’août cette année que paraîtra aux PUF le nouvel ouvrage de Pacôme Thiellement, La victoire des Sans Roi : Révolution Gnostique [2].
Comme si le sort voulait donner plus de sens encore à sa philosophie populaire pourtant énigmatique des nouvelles lectures du monde et de notre vie dans l’anthropocène, au-delà de la postmodernité, l’actualité de nos univers perdus vient de nous opposer la disparition groupée des libertés de Sam Shepard [3] et de Jeanne Moreau [4].
Alors je pense à ce beau statut que l’auteur avait envoyé sur son Facebook le 25 juin et qu’il m’avait autorisée à reproduire.
Le mois de juin torride ne m’avait pas laissé d’énergie positive pour agir, mais j’en reviens. Peut-être ressentais-je d’abord les deuils collectifs à suivre sans délai ceux qui étaient déjà au travail (tous sujets inclus), et parmi eux celui de l’espoir contradictoirement évoqué par l’auteur quand je croyais l’espoir nécessaire — en réalité il ne fait pas vivre ?
En attendant la parution publique du livre clé dans quelques semaines, voici maintenant...

L.D.

Nota bene



Il y a deux lumières : il y a la lumière d’avant la nuit et il y a la lumière d’après. Il y a celle qui était là au début, l’aube radieuse du jour d’avant, et puis il y a celle qui a lutté contre les ténèbres, la lumière qui naît de cette lutte : l’aube scintillante du jour d’après. Il n’y a pas seulement deux lumières, il y a aussi deux joies : il y a la joie d’avant la peine et il y a celle d’après. La joie originelle, la joie innocente, primitive, cette joie est sublime, mais c’est juste un cadeau de la vie, du ciel, du soleil… La joie qui vient après la peine, c’est le cadeau que vous vous faites à vous-mêmes : c’est la façon dont vous transformez votre peine en joie, l’innocence que vous réussissez à faire renaître des jours d’amertume et des nuits de bile noire. C’est le moment où vous commencez à vivre, parce que vous renaissez de vos morts successives. C’est le moment où vous vous approchez de la divinité. Cette joie est de l’ordre de la transmutation. Elle est de l’ordre de la transcendance et de la transfiguration.

C’est vrai, cette vie est désespérante. Elle est désespérante parce qu’elle met en pièces nos illusions, une à une, et nous laisse sans espoir. Ce monde ne sera pas sauvé. Il ne sera pas maudit non plus. Il continuera à perpétuer le malheur qui naît du malheur, la peine qui se transmet comme peine, malgré les rayons de lumière qui traversent ces vies et nous confrontent parfois à des instants de beauté presque insoutenable. La nuit reviendra. On ne nous épargnera aucune douleur. Le cœur est dans un cercle vicieux. Mais, à chaque être, il est donné la puissance de trouver de la lumière dans le monde du mélange, de tirer la beauté de l’ombre, de puiser à la source de la lumière.

Seule l’action absolument généreuse libère. Seule l’action désintéressée libère. Seul l’acte créateur libère. Tout ce qui est fait en attente d’un résultat matériel enchaîne l’homme. Vous attendez une récompense, elle ne vient pas, vous vous vengez ou vous devenez amer… Et face à une injustice que vous subissez, une offense, une insulte ou une agression : vous fulminez, vous sortez les dents, vous mordez… Ou alors vous ne répondez pas, mais vous attendez que le monde réponde à votre place, vous attendez que la personne qui vous a fait du tort se retrouve elle-même punie par un châtiment immanent, qui ne vient jamais. Tout cela enchaîne. Tout cela emprisonne.

La véritable réponse, c’est l’acte de création pure que cette injustice n’aura pas empêché. On nous a craché à la gueule, mais le lendemain nous avons produit une nouvelle mélodie, un poème, ou simplement un sourire, un geste qui s’apparente à l’art de vivre à l’état pur… La maladie nous a terrassé, mais le lendemain nous avons retrouvé la joie : nous avons lu un poème de Verlaine, nous avons respiré l’air frais de l’aube, nous avons aidé un être qui avait besoin de nous, nous avons écrit une lettre d’amour. C’est plus fort que toute réponse, et, malgré tout, cet acte de générosité pure, envers nous-mêmes comme envers les autres, est né de cette injure ou de ce sentiment d’injustice. C’est la puissance mortifère vécue que nous avons plongée comme du bois sec dans le fourneau de notre cœur pour nourrir le feu de l’acte libre à venir. C’est le résultat qu’on est en droit de demander, et même d’exiger, dans notre prière du jour : pas moins de malheur, pas moins de tristesse, mais un peu plus de force dans le cœur et un peu plus de lumière dans l’âme.

Maladie, agression, insultes, malveillance, malheur, injustices : il faut prendre toutes ces choses de la vie comme des matières noires, des matières premières. Il ne s’agit pas de s’en réjouir, on ne s’en réjouira jamais. Mais il s’agit de ne jamais les prendre pour des affaires personnelles : ce n’est jamais vous qu’on agresse, c’est quelqu’un qu’on a plaqué sur vous, une cible qu’on a calqué sur votre silhouette, une illusion qu’on a dessiné sur votre âme. Et ce n’est jamais vous qui êtes malade, c’est votre corps que la maladie a occupé comme elle aurait occupé n’importe quel autre corps, de façon aléatoire, brutalement arbitraire. Les événements que vous êtes amenés à vivre ne sont pas les conséquences de vos actes ; mais la façon dont vous êtes amené à les vivre, elle, naît de ce que vous avez contribué à y faire germer. La fleur naît dans votre cœur, de votre cœur, et plus vous avez travaillé à fondre le plomb du malheur en vous de sorte à ce qu’il ne se transforme pas en colère, plus vous avez détaché celui-ci de vous-même afin qu’il ne fasse pas corps avec vous, plus vous serez capable de bonheur. Alors, chaque maladie ne sera que le rideau de ténèbres qui masque mal la vitalité éblouissante du lendemain ; alors, chaque malheur ne sera que la nuit qui précède la lumière de l’aube. Le bonheur est un twist.

Avec l’aimable autorisation de l’auteur
© Pacôme Thiellement



Source Facebook

P.-S.


* Nota bene : Les choix iconographiques (notamment la capture du Tweet en tant qu’ensemble média), et l’installation, sont des interprétations actuelles de l’essai écrit au mois de juin et re-publié ici ce jour d’août ; ils n’engagent que l’éditorialiste. En quelques semaines cette année beaucoup de choses ont changé, cette accélération suggère une relecture à la lueur de ce qui s’est produit depuis l’écriture de ce court essai, et donne à éprouver l’aspect caméléon du texte dans les couleurs violentes des jours écoulés, son potentiel de sens en métamorphose dans nos émotions, organique avec la vie de l’auteur, et son propos en même temps qu’avec ceux du lecteur. En mouvement asynchrone dans les fluctuations du temps.

L’essai, dans le site de Pacôme Thiellement.

Le portrait de l’auteur dans la forêt est une photographie © Arnaud Baumann : Back in no time — ainsi intitulée par Pacôme Thiellement lui-même, dans sa version publiée sur Facebook le 15 juillet, juste après la clôture de son exposition collective — dont Baumann a composé l’œuvre de couverture. La bibliothèque de Babylone, à la Galerie Corinne Bonnet.

Le site d’Arnaud Baumann.

L’exposition pour mémoire, dans le site de la galeriste, avec la recension des noms des artistes et des auteurs participants :
http://galeriecorinnebonnet.com/exposition/la-bibliotheque-de-babylone.

Notes

[1Ce que tous imprégnés de culture nord-américaine nous nommons aujourd’hui « été indien ».

[2L’ouvrage est dès à présent accessible en pré-achat dans toutes les librairies en ligne, par exemple en France chez Decitre.

[3Patti Smith a dédié à son ancien amour et éternel ami un magistral et bouleversant hommage dans The New Yorker : « My Buddy ».

[4Nostalgia for what ? Nostalgia is when you want things to stay the same. I know so many people staying in the same place. And I think, my God, look at them ! They’re dead before they die. That’s a terrible risk. Living is risking.” Jeanne Moreau répondant sur sa vie professionnelle toujours en recherche en dépit de sa gloire, citée en conclusion de l’article nécrologique qui lui est dédié dans The Guardian. Un long hommage radiophonique lui a été consacré le 31 juillet à midi sur la radio publique France-Inter (écouter le podcast en mp3) — après le sommaire des actualités au début, et à la fin après leur présentation. La confrontation de l’ensemble des situations est particulièrement significative du moment.

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