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Les Cinq Livres de Rabelais. V. Pantagruel. (avec un glossaire) 

dimanche 26 juin 2011, par François Rabelais

 Du succès comme raison d’être plagié. Et du vaste temps où le plagia et le collage purent être considérés à juste titre comme un art poétique de la transgression révolutionnaire.
 Ledit Cinquième livre, sous le véritable titre Le cinquième livre et dernier des faits et dits héroïques du bon Pantagruel, composé par Maître François Rabelais, docteur en médecine, est le dernier du cycle de Pantagruel et de Gargantua de Rabelais, et après Le Tiers Livre l’un des quatre principalement dédiés à Pantagruel (II, III, IV, V), d’où la confusion entre les éditions sous le titre "Pantagruel", étant en fait celui du tome premier.
 C’est la fin du voyage, la rencontre de l’oracle de la Dive bouteille chère à Panurge qui depuis le livre troisième cherche la raison et la décision de prendre femme, où l’accompagne Pantagruel tel Ulysse. C’est l’ouvrage hermétique, du moins le plus symbolique, et peut-être le plus poétique de tous.
 Le livre numérisé présenté par La RdR est l’édition de La librairie des bibliophiles, Denis — ou Daniel — Jouaut, imprimeur à Paris, en 1877, avec des eaux fortes de Émile Boilvin, ouvrage ancien du fonds de la bibliothèque de l’université de Toronto.
 L’édition originale historique du Cinquième livre est l’objet d’une polémique et notamment on ne sait la dater, sinon de dire qu’elle serait posthume et néanmoins de connaître une édition fragmentaire de 1549 (certains prêtent à Rabelais d’être mort en 1553 et d’autres en 1555), et que l’intégrale aurait été révélée peu à peu par des libraires et des imprimeurs différents, au long d’éditions postérieures à la mort de l’auteur, de 1562 (en seize chapitres — ? — et au moins L’isle sonnante) à 1564 — en quarante sept chapitres, plus un épigramme en conclusion probablement par l’éditeur, à moins qu’il ne s’agît d’un clin d’œil de l’auteur qui aurait prévu et organisé son édition posthume (comme son recueil de dessins), précédés par un prologue de celui-ci, — puis/ou 1565. Ce serait en quelque sorte une œuvre collective, comme la continuation d’un mythe (Rabelais étant mort sans avoir achevé le cycle).
 D’où les doutes sur l’authenticité des textes sources. Ainsi, certains textes seraient bien antérieurs et d’autres purement apocryphes, néanmoins Anatole France, qui dans son essai éponyme sur Rabelais se pencha sur l’aspect plagiaire de l’ouvrage, n’en a pas contesté la signature pour le principal du style et des matériaux du récit. [1]
 Autre hypothèse : on peut aussi considérer, et c’est une position pertinente à propos du contexte inquisiteur dans les dernières années de la vie de Rabelais, que la répression des imprimeurs et la chasse aux sorcières de l’Église contre la Réforme qui sourd, l’emportant sur le développement de l’imprimerie et des Lettres et contre l’humanisme, [2], malgré les bonnes intentions d’Henri II (roi de 1547 à 1559), il y eut en cela toute raison que Rabelais pour sa sécurité préférât ajourner la publication ou la réédition de nouveaux ouvrages, après la première interdiction du Tiers livre et du Quart livre par les théologiens, dont l’objet de la levée par le roi de l’édit de la Sorbonne ne pouvait devenir totalement effectif qu’après que Joachim du Bellay, parti à Rome pour accompagner son oncle envoyé pour une mission diplomatique, en 1553, eut convaincu le pape et revint à Paris en 1558 (alors que Rabelais était mort depuis) ; car dès 1546, l’humaniste et imprimeur Étienne Dolet, éditeur lyonnais d’une des premières sinon la première publication de Pantagruel, en 1542, date du commencement de l’inquisition romaine contre les hérésies — troisième inquisition après l’inquisition médiévale (au titre de laquelle Villon sera victime du harcèlement des théologiens et de l’évêque d’Orléans) et l’inquisition espagnole (succédant à la prise de Cordoue par Isabelle la Catholique) — à l’initiative du pape Paul III, dite "Congrégation de l’Inquisition romaine et universelle" qui mènera ultérieurement à la Contre-réforme), fut brûlé vif pour hérésie, place Maubert, à Paris, après l’autodafé de plusieurs de ses ouvrages d’édition.
 Ce qui pourrait expliquer le privilège de passeur des dessins "grotesques" des Songes Drolatiques de Pantagruel publiés comme le Cinquième livre après la mort de l’auteur, charge graphique contre les représentations naturalistes édifiantes conformes aux universaux scolastiques, qui n’ont rien à envier aux monstres de la sculpture romane ou gothique pour signifier le mal ou le diable ce qui était au moins permis, mais davantage succède aux personnages fantastiques de la peinture de Hieronymus Bosch (Le Jardin des délices est situé entre 1500 et 1505), lui aussi réputé radicalement critique de son temps par des visions hallucinées comme sous l’effet des drogues ou du délire éthylique, ou d’une imagination fantasque. Ce qui incline à considérer que les dessins de Rabelais — qu’il s’agisse ou non des siens — stigmatisent l’ordre aristotélicien des formes vivantes de la nature, dans une expression inaccessible à la répression, comme le Livre V, livre du voyage multiple mais non l’errance puisqu’il s’agit de la quête de la Dive bouteille, objectif défini au Livre IV. Ailleurs du social aux rencontres mythologiques anachroniques.
 Et bien sûr, deci et delà, de la première ile du cycle à l’utopie (l’abbaye de Thélème, contemporaine de l’utopie de Thomas More, à laquelle elle doit dans doute davantage qu’à la cité de Dieu d’Augustin) jusqu’aux isles multiples du Cinquième livre, comme navire, on retrouve la critique sociale et le radicalisme de Rabelais dans l’invention d’un transport spécial pour l’autre monde, qui deviennent soudain plus surréels que pataphysiques, et font de ce dernier livre une œuvre du ressenti des univers parallèles de la proximité de la mort, ou construisant de la censure la force de l’image et de sa propre cruauté en forme de dérision contre les cruautés et les injustices du monde. Décadence ou franchissement de la critique sociale et de la nature par la critique abstraite contre la soumission de la pensée. Et s’il y a plagiaire alors pourquoi pas plagiaire autant des dessins du recueil iconographique, qui correspondent au même état d’esprit situé à la même période de l’édition en fin de vie ou posthume de l’auteur ?
 Alors on sait ce que Rabelais et/ou ses émules doivent au Jardin des délices de Bosch, et de là on anticipe, devinant ce que le XVIIIe siècle devra autant à l’ile de l’utopie, et à ses constructions singulières en métaphores des mondes rêvés idéaux ou extrêmes, attendus ou infernaux, de la navigation entre les iles initiatiques du Quatrième au Cinquième livre, critiques de l’ordre tabou d’un royaume mal établi par les dogmes religieux, qui plusieurs siècles après sera logiquement ébranlé par la société révolutionnaire, entre L’embarquement pour Cythère de Watteau, l’ile de La Dispute du théâtre expérimental de Marivaux, la Carte du tendre, et les obscures demeures des rencontres de Juliette, imaginés par Sade, qui vaudront à celui-ci d’être considéré comme fou et enfermé à Charenton plutôt qu’embastillé : la différence étant qu’il fût considéré, vu son actualité biographique parmi ses contemporains, comme étant déjà passé à l’acte social de son monde critique par le mal.
 Mais Rabelais qui fut aussi moine s’il ne craignait pas le risque pour autant n’était pas imprudent ni socialement irresponsable : il n’ira à l’asile que pour soigner des malades que sa littérature — présenterait-elle des aspects métaphysiques — fut d’abord réputée distraire en même temps qu’informer, il assumera l’amour et la famille selon ses préceptes moraux laïques et agnostiques — c’est à dire sans mariage, mais faisant en sorte que ses deux enfants aient un statut intégré, — et il se gardera bien de défier explicitement les idées de l’Église après que l’université scolastique l’ait menacé — d’où l’hypothèse crédible de l’édition posthume délibérée.
 Sans oublier les calligrammes parmi lesquels l’oracle et la transcription de "la Dive bouteille" justement dans le Livre V qui par là conclut le cycle, déviance et pamphlet du mysticisme des significations à clé de l’alphabet dans l’hermétisme kabbalistiques, où il est aussi question du temple de Bacchus, aphorisme iconoclaste du texte docte enclos dans sa propre forme comme l’alcoolique dans sa bouteille, informant une lecture à double sens du texte, roulis et tangage où Panurge initié par Bacbuc [3] nous conduisent à l’ivresse de la transe, "fureur poétique" dans toutes sa force gratuite, encore appelée par le Manifeste du surréalisme contre la guerre, après la poésie calligrammatique d’Apollinaire, qui inventa ce nom au titre d’un recueil de poésies, en 1918. Et qui pourrait nier que les êtres étranges contre le naturalisme de Buffon peuplant les marais des Chants de Madoror (1869) de Lautrémont, maître de la modernité et de la postmodernité poétiques révolutionnaires, n’évoquent aussi celles des fantasmagories graphiques du dernier ouvrage attribué à Rabelais : soit par hasard, l’imagination critique et ses objectifs contre le dogmatisme scientifique et les conformismes du temps étant proches, ou ayant connu une ancienne édition et ses ancêtres artistiques. Quand Chtechglov, depuis un tout autre monde, mais comme s’il sortait du Cinquième livre, inventa l’expérience surréelle symbolique de la dérive vivante.

A. G. C.

ÉPIGRAMME

RABELAIS est-il mort ? Voicy encor un livre.
Non, sa meilleure part a repris ses esprits 
Pour nous faire présent de l’un de ses escrits,
Qui le rend entre tous immortel et fait vivre. 

NATURE QUITE


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Internet sources :

archive.org et openlibrary.org

Bibliothèque et bliothéconomie de la numérisation :


http://www.archive.org/details/lescinqlivresdef05rabeuoft

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Calligramme de la Dive Bouteille
Rabelais
Le Cinquiesme Livre (posthume) : édition princeps de 1564 (BNF, Rés. Y2 2168).
Bibliothèque municipale de Lyon (Rés. 807 489 / Lyon, éd. Jean Martin, 1567)
Source Blog La Dive Bouteille


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LE CINQUIESME ET DERNIER LIVRE DES
faicts et dits heroïques du bon Pantagruel, composé par M. François Rabelais, Docteur en Medecine.

Auquel est contenu la visitation de l’oracle de la dive Bacbuc, et le mot de la bouteille ; pour lequel avoir est entrepris tout ce long voyage.
Nouvellement mis en lumiere.
M.D. L X I I I I .

INDEX

- Epigramme.
- Prologue d’Autheur et aux lecteurs benevoles.

- Chapitre I
Comment Pantagruel arriva en l’isle Sonnante, et du bruit qu’entendismes.

- Chapitre II
Comment l’isle Sonnante avoit esté habitée par les Siticines, lesquels estoyens devenus oiseaux.

- Chapitre III
Comment en l’isle Sonnante n’est qu’un Papegaut.

- Chapitre IIII
Comment les oiseaux de l’isle Sonnante estoient tous passagers.

- Chapitre V
Comment les oiseaux gourmandeurs sont muets en l’isle Sonnante.

- Chapitre VI
Comment les oiseaux de l’isle Sonnante sont alimentez.

- Chapitre VII
Comment Panurge racompte à maistre Editue l’Apologue du Roussin et de l’Asne.

- Chapitre VIII
Comment nous fut monstré Papegaut à grande difficulté.

- Chapitre IX
Comment nous descendimes en l’isle des Ferrements.

- Chapitre X
Comment Pantagruel arriva en l’isle de Cassade.

- Chapitre XI
Comment nous passasmes le Guichet habité par Grippe-minaud, Archiduc des Chatsfourrez.

- Chapitre XII
Comment par Grippe-minaud nous fut proposé un Enigme.

- Chapitre XIII
Comment Panurge expose l’Enigme de Grippeminaud.

- Chapitre XIIII
Comment les Chatz fourrez vivent de corruption.

- Chapitre XV
Comment Frere Jan des Entomeures delibere mettre à sac les Chatsfourrez.
[Comment Pantagruel arriva en l’isle des Apedeftes, à longs doigts en mains crochues, et des terribles adventures et monstres qu’il y veit. Chapitre XVI].

- Chapitre XVI
Comment nous passasmes Outre, et comment Panurge y faillit d’estre tué.

- Chapitre XVII
Comment nostre Nauf fut encarrée, et fusmes aidez d’aucuns Voyagiers qui tenoient de la Quinte.

- Chapitre XVIII
Comment nous arrivasmes au Royaume de la Quinte-Essence, nommée Entelechie.

- Chapitre XIX
Comment la Quinte-Essence guarissoit les maladies par chansons.

- Chapitre XX
Comment la Royne passoit temps après disner.

- Chapitre XXI
Comment les Officiers de la Quinte diversement s’exercent, et comment la Dame nous retint en estat d’Abstracteurs.

- Chapitre XXII
Comment fut la Royne à soupper servie, et comment elle mangeoit.

- Chapitre XXIII
Comment fut en presence de la Quinte faict un bal joyeux, en forme de tournay.

- Chapitre XXIIII
Comment les trente-deux personnages du bal combatent.

- Chapitre XXV
Comment nous descendismes en l’isle d’Odes, en laquelle les Chemins cheminent.

- Chapitre XXVI
Comment passasmes l’isle des Esclots, et de l’Ordre des freres Fredons.

- Chapitre XXVII
Comment Panurge, interroguant un Frere Fredon, n’eust response de luy qu’en monosillabes.

- Chapitre XXVIII
Comment l’institution de Quaresme desplaist à Epistemon.

- Chapitre XXIX
Comment nous visitasmes le Pays de Satin.

- Chapitre XXX
Comment au pays de Satin nous veismes Ouydire, tenant eschole de tesmoignerie.

- Chapitre XXXI
Comment nous feut descouvert le païs de Lanternois.

- Chapitre XXXII
Comment nous descendismes au port des Lichnobiens, et entrasmes en Lanternois.

- Chapitre XXXIII
Comment nous arrivasmes à l’oracle de la Bouteille.

- Chapitre XXXIIII
Comment nous descendismes soubs terre pour entrer au temple de la Bouteille, et comment Chinon est la premiere ville du monde.

- Chapitre XXXV
Comment nous descendismes les degrez tetradiques, et de la peur qu’eut Panurge.

- Chapitre XXXVI
Comment les portes du temples par soymesme admirablement s’entr’ouvrirent.

- Chapitre XXXVII
Comment le pavé du temple estoit faict par emblemature admirable.

- Chapitre XXXVIII
Comment en l’ouvrage mosayque du temple estoit représentée la bataille que Bacchus gaigna contre les Indians.

- Chapitre XXXIX
Comment en l’emblemature estoit figuré le hourt et l’assaut que donnoit le bon Bacchus contre les Indians.

- Chapitre XL
Comment le temple estoit esclairé par une lampe admirable.

- Chapitre XLI
Comment par la Pontife Bacbuc nous fust monstré dedans le temple une fontaine fantastique.

- Chapitre XLII
Comment l’eau de la Fontaine rendoit goust de vin, selon l’imagination des beuvans.

- Chapitre XLIII
Comment Bacbuc accoustra Panurge pour avoir le mot de la Bouteille.

- Chapitre XLIIII
Comment la Pontife Bacbuc presenta Panurge devant la Dive Bouteille.

- Chapitre XLV
Comment Bacbuc interprete le mot de la Bouteille.

- Chapitre XLVI
Comment Panurge et les aultres rythment par fureur poetique.

- Chapitre XLVII
Comment, après avoir prins congié de Bacbuc, delaissent l’Oracle de la Dive Bouteille.

Index du Cinquième Livre, relevé dans Wikisource
[ Ndlr : travail de publication en cours, non lié — orthographie des accents non vérifiée ]

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Rabelais, Les Cinq Livres et un peu plus dans La RdR :

- Livre V
- Livre IV
- Livre III
- Livre II
- Livre I
- Les songes drolatiques de Pantagruel - dessins


P.-S.

Pour information générale sur la personnalité la vie et les conditions de l’écriture et de l’édition des livres de Rabelais, voir l’article sur François Rabelais dans fr.wikipedia.

Sur les calligrammes au Moyen âge et à la Renaissance, voir le revue Textimage.

Notes

[1Dans le rapport de la séance du 24 juillet 1903 de l’académie française, on lit des détails référant à une communication par Albert Lefranc, professeur à l’École des Hautes Études, sur l’authenticité en question de la signature du Ve Livre, depuis une traduction fragmentaire dont celui-ci retrouve la source publiée en 1549, rapport qui n’est cependant pas exhaustif des éditions suivantes — ni de leur expertise — quoiqu’il paraisse en ressortir convenu que Le Cinquième livre ne soit pas de la plume de Rabelais. Celui-ci peut avoir connu de son temps des plagiaires en langues étrangères, mais le rapport ne dit pas si les textes concernés sont ceux qu’on retrouve principalement dans les éditions ultérieures.

[2La Renaissance italienne, en avance d’un siècle sur la Renaissance française, a déjà connu au siècle précédent la contestation radicale des réformateurs moraux notamment Savonarole, dominicain responsable de la dictature théocratique qui renversa les Médicis à Florence de 1494 à 1498 (mais il finira lui-même sur le bûcher), au point qu’en 1494 c’est lui qui négocia auprès du roi Charles VIII de France la sauvegarde de la ville du sac de l’armée française, lors de la première Guerre d’Italie ; un peintre comme Botticelli qui était revenu dans sa sa ville natale afin de réaliser pour les Médicis quelques unes de ses plus belles œuvres, dont Le Printemps et La naissance de Vénus, sacrifia lui-même à Savonarole, dont il devint un adepte, la plupart de ses nus sur le Bûcher des vanité, entrant dans une phase mystique où il devint un peintre iconoclaste de sa propre peinture et peu prolifique (il mourut en 1510 sans être revenu sur la dernière partie de son œuvre).

[3Sur Bacbuc et la Dive bouteille, à propos de l’ile de la Dive (ile de Ré) et des Charentes, du Poitou, et de Rabelais (où l’on comprend comment il aurait entendu parler de Villon dans cette région), lire RABELAIS, De la DIVE bouteille et du reste.

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