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Textes courts 

vendredi 21 décembre 2012, par Henri Cachau

Annabelle...

L’affiche était attrayante : un clown trompettiste hilare en premier plan, avec sur son pourtour des médaillons correspondant à des : trapézistes, jongleurs, dompteurs, etc., puis un qui l’attira concernant une ourse pétauriste... Si l’enfant fut subjugué par le plantigrade, son enthousiasme fut relativisé par son père lui faisant remarquer qu’il s’agissait de dressage ; qu’autrefois les ours étaient placés sur des plaques chauffantes les obligeant d’une patte sur l’autre se balancer afin de compenser les effets de la brûlure, ce dandinement donnant aux spectateurs l’illusion d’une danse...

Compatissant il l’avait été lors du passage de l’ourse tendant sa sébile, dans laquelle il avait versé ce qui était destiné à une collation, puis durant l’entracte s’en fut la retrouver dans sa cage... Il en était convaincu, une connivence s’était établie, et en lui accordant ce qu’il considérait être un chemin vers la liberté, bénéficier d’une reconnaissance dont elle le gratifierait...

A peine entrebâilla-t-il la porte qu’un méchant coup de patte l’assomma, le défigura...

Son père l’avait averti : « Tant pour l’homme que pour l’animal la liberté pèse une fois l’esclavage consenti ! » un jour ou ce dernier lui récitait la fable du chien et du loup, alors que par forfanterie enfantine, ce qui le fit rire dans sa barbe, il lui avança préférer la vie du second, bien qu’il en eut encore peur le soir, seul dans le noir... qu’il craigne avoir faim et froid ce jour où il prendrait la route vers la... alors que le mâtin lui ?... L’ourse se prénommait Annabelle !...

Irina...

Des tarots quotidiennement manipulés par sa mère, Bertrand confondait l’hiérophante avec l’éléphante, ça la faisait rire...

Aussi, lorsqu’elle l’avisa qu’ils se rendraient chez une pythonisse, à juste titre songea-t-il à la femelle du python, une nouvelle fois ça la fit rire...

Chez Irina, Bertrand fut saisi par son aspect de vieille sorcière, authentifié par ses yeux perçants, ses mains crochues, son attifement, puis au-delà d’une odeur incommodante – des pipis de chats ? – par la boule de cristal trônant sur la table, lui proposant comme un kaléidoscope des cartes étalées autour...

Ça amusa Bertrand, le temps que ces deux grandes personnes déblatèrent sur des choses qui ne le concernaient pas... pas encore !...

Ensuite, au lieu d’aller à la pâtisserie où après ces visites ils prenaient une collation, nerveuse sa mère lui déclara ne pas avoir le temps... d’autres urgences ?...

Lesquelles ?... Bertrand l’apprit par son père, le surlendemain venu le chercher à la sortie de l’école... Sa mère... Irina... des conneries... le destin... lui dit-il, en pleurs...

Insomnie...

Je m’étais réveillé en pleine nuit avec la sensation d’être épié. Prenant sur moi je n’allumai pas, à mon âge la crainte des fantômes, d’éventuels voleurs, ça me paraissait ridicule... D’ailleurs le forçage des portes ou fenêtres m’aurait déjà alerté... Aucun bruit sauf celui de ma respiration oppressée... Que se passait-il ?... Pourquoi cette pénible sensation de se savoir fixé par un regard loin d’être bienveillant, suspicieux... Ma conjointe décédée, nos enfants et petits enfants envolés, rangés ! C’est ce mot de rangement qui au-delà d’un immédiat soulagement m’octroya la réponse : n’étais-je pas dans l’après-midi monté jusqu’au grenier avec l’intention de l’alléger d’un tas de vieilleries, desquelles j’en avais sauvé un ours en peluche. Mon ours, ayant réchappé à de nombreux déménagements, qui une fois que je l’eus dépoussiéré, depuis la commode faisant face à mon lit sur laquelle je le disposai, par delà les ténèbres, de son regard – non de ses anciens yeux de verre mais de deux boutons dépareillés en faisant fonction – fouaillait ma conscience, voulait savoir ce que j’avais fait de mon, de notre enfance ?... Je terminai le fin de nuit éveillé, tachant de lui donner, sinon de bonnes réponses de réelles excuses, hélas je n’en trouvai aucune... Dorénavant, à demeure l’insomnie s’installa...

La maison des...

... « Si nous n’étions pas curieux de nature, jamais Christophe Colomb n’aurait découvert les Amériques ! », cet infaillible raisonnement, le mien ou celui de Pierre, Paul ou Jacques, avait confirmé notre décision, quotidiennement remise chaque fois que nous passions devant la maison des pendus ; les femmes se signaient, précipitaient leurs pas, les hommes s’en éloignaient ou en sa direction proféraient jurons ou prières... D’autant que mère m’avait averti : « Ne vous avisez pas, toi et tes garnements de camarades de vous y risquer à l’intérieur, la mort y a trouvé refuge, quelle y reste ! », et cet avertissement le renouvela jusqu’à ce que nous commettions la connerie. Quant au père, il savait que cette idée (mauvaise ?) nous turlupinait, que malgré notre jeune âge nous lorgnions vers la faucheuse, et ce défi ne lui déplaisait pas étant donné qu’aucun adulte, hormis des nécessiteux, ne s’était risqué à l’affronter... A posteriori chacun se dédouana d’en avoir été l’instigateur, lorsque au sommet de cette (non) gratuite provocation nous surenchérissions sur la revente –certains de nos camarades s’étaient portés acquéreurs – de ce hart qui s’avérât moisi, s’effritât entre nos mains, de dépit nous conduisît à mutuellement nous accuser... Cette maison avait été visitée, ses volets et fenêtres à demi-arrachés, des chemineaux l’avaient squatté puis s’étaient saisis d’objets ou matériaux revendables, mais craignant une malédiction s’étaient désintéressé de la corde, car la camarde avait fauché large, le père s’était pendu, la mère avait suivi en l’utilisant, par contre, de désespoir leur fille s’était noyée... En vérité nous souhaitions la voir de près cette camarde, ayant trouvé ses aises dans ce capharnaüm où nous fûmes accueillis par un remue-ménage de rongeurs et d’oiseaux, où il me fallut l’aide d’une lampe-torche pour la repérer, verticale, d’abord confondue avec un fil électrique débarrassé de son abat-jour, raide comme un fil-à-plomb indiquant à nos pieds ces nids de poussière qui, soulevée par nos piétinements rendît l’atmosphère irrespirable... Dans la précipitation nous avons oublié de refermer sa porte, aussi s’est-elle installée chez nous, mon frère est mort en Algérie, mon père d’une cirrhose, mère de chagrin... Devenu lâche, j’ai préféré l’écriture pour entretenir leur souvenir...

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