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Centre Georges Pompidou : Assemblée générale. Stéphane Gatti 3/4. 

mercredi 9 mai 2018, par Stéphane Gatti

Dans le cadre de la célébration du cinquantenaire de mai 1968 au Centre Georges Pompidou à Paris, Assemblée générale, Stéphane Gatti a conçu et réalisé une série de vingt deux entretiens visuels avec des personnalités actives dans « le mouvement de mai », pour une approche compréhensive de cette pensée collective et de sa communication. Ces entretiens diffusés en boucle chaque jour ouvrable du musée seront répartis en quatre sessions thématiques successives, au long des semaines du 28 avril au 21 mai 2018.

Installation non stop accessible dans un kiosque au forum du musée, niveau -1.

- Assemblée générale : Stéphane Gatti /1
28 avril - 3 mai : Les journaux

- Assemblée générale : Stéphane Gatti /2
4 mai - 9 mai : Les lieux

- Assemblée générale : Stéphane Gatti /3
10 mai - 14 mai : Psychiatrie et Philosophie

- Assemblée générale : Stéphane Gatti /4
15 mai - 21 mai : La question émigrée et la construction du parti


Avec Prisca Bachelet, Henri Benoit, Daniel Bensaïd, Jean-Claude Bourgeois, Paul Brétecher, Laurent Cartier, Jean-Pierre Duteuil, Tiennot Grumbach, Nicolas Hatzfeld, Marc Kravetz, Jean-Pierre Le Dantec, Gus Massiah, Jean-Louis Péninou, Jean-Claude Polack, Anne Querrien, Jacques Rancière, Jacques Rémy, Nadia Ringart, Emmanuel Terray, Jean Schalit, Marie-Noëlle Thibault, Jean-Pierre Thorn.

N.B. Tous ces films actualisés par un montage à la fin de 2017 et au début de 2018 sont basés sur des entretiens filmés par l’auteur en 2008, en sorte que ceux des protagonistes aujourd’hui disparus participent directement aux témoignages et ces interviewes à leur mémoire, leur rendant hommage.


ASSEMBLÉE GÉNÉRALE : STÉPHANE GATTI (3/4)


2/4. Seconde session du 10 mai au 14 mai 2018 inclus : Psychiatrie et Philosophie.
Tous les jours en boucle


Jean-Claude Polack
Psychanalyste, psychiatre


Durant ses années d’études en médecine, il est membre de l’UNEF et de l’UEC. Il préside notamment l’Association générale des étudiants en Médecine de Paris. Lors du congrès de 1963 (Dijon) il est candidat à la présidence de l’UNEF avec le soutien de la Fédération des groupes d’études en Lettres, mais est battu par Michel Mousel. Ensuite, il travaille pendant une douzaine d’années aux côtés de Felix Guattari, à la clinique de La Borde. Il est le directeur de publication de la revue Chimères, Revue des schizoanalyses fondée par Gilles Deleuze et Félix Guattari en 1987.

En rencontrant Félix Guattari, Jean-Claude Polack, psychiatre, s’engage dans l’expérience menée depuis 53 à la clinique de La Borde ; avec Jean Oury le projet de la psychothérapie institutionnelle se met en œuvre : pour pouvoir soigner les fous, il faut aussi soigner l’institution. Indistinction des tâches et absence de murs, au propre comme au figuré, permettent une remise en cause permanente de l’hôpital et de ses routines délétères. Nombre de militants politiques profitent de cette expérience, avant comme après 68 ; car Guattari s’intéresse aussi bien aux organisations révolutionnaires, institutions souffrant elles-mêmes de leurs maladies propres— tendances groupusculaires, dogmatisme, indifférence aux individus, reproduction en leur sein des aliénations sociales et mentales qu’elles combattent. Il s’attache également à replacer les subjectivités dans leur histoire et dans l’histoire ; ce projet pratique culmine théoriquement dans le concept de schizo-analyse, développé avec le philosophe Gilles Deleuze. Réfléchir sur les voies et les processus de la subjectivité, c’est également prendre acte de la nouveauté qui surgit avec 68, événement qui déborde les pensées déterministes. Jean-Claude Pollack reste à La Borde de 64 à 76 ; il quitte la clinique dans le sillage de Félix Guattari, départ qui dans la vie de ce collectif met fin à un cycle.


Paul Bretécher
Psychanalyste, psychiatre


Suite à mai 68, une nouvelle génération de médecins et d’infirmiers arrive dans les hôpitaux psychiatriques. La lente mise en place de la politique de secteur augure alors à peine de changements ; la psychiatrie publique reste très marquée par le fonctionnement asilaire. Cette évolution de l’asile, nécessaire mais « technique », balisée par des décrets ministériels, s’incarne en grande partie grâce à leur activisme. L’époque est aussi celle d’un regard plus positif porté sur la folie, parfois magnifiée, en tout cas davantage écoutée.
C’est précisément en mai 68, à Nantes, que Paul Brétécher décide de devenir psychiatre. Il commence par pratiquer la psychothérapie institutionnelle dans de vastes hôpitaux — c’est-à-dire qu’il tente d’humaniser l’institution. Puis il part en 78 à Corbeil (Essonne) dans le service créé par Lucien Bonnafé (1912-2003) et qui poursuit de l’inspirer après avoir pris sa retraite, grand désaliéniste militant contre la logique asilaire depuis des expériences fondatrices pendant la Résistance. Celui-ci veut mettre à profit la politique de secteur pour imaginer une psychiatrie « hors les murs ». Quelle meilleure façon, pour ce faire, que de se mettre au pied du mur ? Dans un désert sanitaire, où tout est à inventer — là il faut donc trouver des solutions alternatives à l’internement. Au cœur de la cité, pour ne pas isoler la folie. Solutions de logement et de soins à domicile, réinsertion par le travail, collaborations avec des artistes... Autant de dispositifs gigognes constitués au fil des années et qui remettent en question les frontières convenues de la pathologie — et surtout, les frontières de l’institution psychiatrique. Le souci de l’usager précédant les logiques institutionnelles, les soignants doivent, sans a priori, pouvoir créer des structures et les adapter au fur et à mesure que des besoins sont identifiés. Ainsi, le soin se mêle au quotidien, afin que les interactions sociales s’intègrent aux soins –- utilisant le « potentiel soignant de la population » cher à Lucien Bonnafé. Les rôles du psychiatre et des infirmiers, hors de l’étroite scène de l’asile, sont à réinventer.
Paul Brétécher, qui arrive à Corbeil un an après la retraite de Bonnafé, va contribuer à faire vivre jusqu’à aujourd’hui cette tentative, dans un contexte difficile où, pour beaucoup d’autres, l’enfermement redevient souhaitable.


Anne Querrien
Sociologue


Anne Querrien est une sociologue et urbaniste française. Ses recherches portent sur la politique de la ville et du logement social, mais aussi sur l’école comme « espace à libérer » Elle dirige et/ou cofonde et/ou participe à la rédaction des revues Recherches (la revue du CERFI), Les Annales de la recherche urbaine, Chimères et Multitudes.
Enseignante aux universités Paris VIII et Paris I, et anciennement à l’université d’Évry, elle est membre de l’AITEC (Association internationale de techniciens, experts, et chercheurs). [1]

Soutenir le FLN, les Vietnamiens, les Chinois, les Cubains...? Oui, mais d’abord faire la révolution là où l’on est, répond le psychanalyste Félix Guattari. Déterritorialisation, re-territorialisation, rhizomes, tissage, failles, schizo-analyse ; une prolifération de concepts qui n’épuise pas la diversité d’autant de micro-expériences, tentatives d’ouvrir des espaces de liberté dans tout le champ social. Anne Querrien, sociologue-urbaniste, active dans le Mouvement du 22 mars puis secrétaire générale du Cerfi créé par Guattari, a choisi ces traversées souterraines pour prolonger l’inventivité libertaire de mai 68. Il n’y aura pas de guerre civile, alors il faudra faire de la micro-politique. Plutôt que le dogmatisme des groupuscules d’extrême gauche sans issue réelle, des stratégies d’alliance, de collaboration, de déprise avec les pouvoirs et de déplacements dans leurs interstices. Et, ce faisant, changer les façons de faire ; singularité de mai 68, les critiques propres au champ psychiatrique sur les identités, les rapports de pouvoir, le familialisme vont devenir, par le biais du mouvement, des outils génériques de transformation de la vie quotidienne. Ainsi Anne Querrien peut passer de la psychothérapie institutionnelle que pratique La Borde à l’implication dans des programmes de rénovation urbaine. Tout en faisant face à l’ambiguïté propre à l’« impureté » d’expériences toujours à repenser : la partie de cache-cache jouée avec les administrations étatiques, qui permet leur existence et les expose à la récupération.


Jacques Rancière
Philosophe


Élève de Louis Althusser, il participe en 1965 à Lire le Capital [2] avant de se démarquer de son ancien professeur à l’École normale supérieure. En 1974, il écrit La Leçon d’Althusser, qui remet en cause sa démarche. À la fin des années 1970, il anime avec d’autres jeunes intellectuels comme Joan Borrel, Arlette Farge, Geneviève Fraisse, le collectif Révoltes Logiques qui, sous les auspices de Rimbaud, remet en cause les représentations du social traditionnelles et fait paraître une revue, Les Révoltes logiques

C’est dans l’ébullition de Vincennes, que le philosophe Jacques Rancière, co-auteur de Lire le Capital, commence à réévaluer la pensée d’Althusser. Les principes de la science marxiste professés par le maître de Normale sup’ ne rendent pas compte de Mai-68, de ses bouleversements réels. L’étonnement, l’écart entre la réalité de la révolte et ce qui devrait en être la théorie ouvrent alors un projet, on pourrait dire un « établissement » théorique : reconstruire la généalogie du rapport entre pensée ouvrière et marxisme, en quête des manques de ce dernier. Mais Jacques Rancière découvre que la « pensée ouvrière », le « mouvement ouvrier » en tant que tels n’existent pas ; seulement l’émancipation ouvrière comme processus. L’histoire de cette émancipation deviendra La Nuit des prolétaires (81), recherche-récit qui, en se ressaisissant de ce passé fragmentaire, ressaisit aussi, en creux, ce qui s’en rejoue en 68 – ouvrant une possibilité de raconter Mai. Plus tard, Le Maître ignorant (87) dégagera la transmission du savoir du déterminisme en faisant de l’égalité un a priori sur lequel bâtir et non un but à atteindre. S’en remettre ainsi, comme le pédagogue Joseph Jacotot enseignant ce qu’il ignore, à la créativité de chacun, c’est sortir des légitimations de la logique inégalitaire, y compris de celles qui la perpétuent sous couvert de démystifier l’ordre dominant. C’est aussi un prolongement de l’âme libertaire de 68, en particulier de celle qui s’est exprimée à Vincennes.


Nicolas Hatzfeld
Historien


Professeur des universités, enseignant au département d’histoire de l’Université d’Evry-Val-d’Essonne, chercheur spécialisé en histoire contemporaine. Avant de devenir historien, Nicolas Hatzfeld, a été pris dans le tourbillon du militantisme d’extrême gauche.

Des réponses supposées aux questions réelles : tel serait un des parcours de l’établi. Après Mai-68, Nicolas Hatzfeld milite au PCMLF, parti pro-Chinois clandestin. La révolution ne peut se faire sans le monde ouvrier, disait-on ; comme d’autres, il s’établit alors pour plusieurs années en usine, chez Peugeot à Sochaux. Mais la réalité déjoue les schémas politiques. La vie des ouvriers ne peut se dire avec les mots du Parti. Cependant, dans les usines, d’autres luttes se mettent en place, d’autres expériences propres aux ouvriers se prolongent. Et certains « établis », comme Nicolas Hatzfeld, qui devient militant syndical tout en s’éloignant de son organisation, écoutent, apprennent. L’échec des préjugés théoriques ouvre à un savoir plus concret, tâtonnant mais tendu vers des luttes quotidiennes. Les questions posées par cette expérience du monde ouvrier, le regard plus libre du chercheur pourra les approfondir : de retour, des années plus tard, à Sochaux en tant qu’historien, Nicolas Hatzfeld écrira Les gens d’usine, 50 ans d’histoire à Peugeot-Sochaux (2002).


Marc Kravetz
Journaliste

Prix Albert Londres

Ancien élève ( peu de temps ) de l’École normale (entré en 1961), Marc Kravetz a été secrétaire général du bureau national du syndicat étudiant UNEF sous la présidence syndicale de Bernard Schreiner (avril 1964-avril 1965). Il en démissionne en janvier 1965. Proche d’André Gorz, il est alors suffisamment emblématique de l’engagement estudiantin pour que, sous la plume acide de Mustapha Khayati, son nom soit utilisé pour stigmatiser tout le mouvement politisé de l’époque dans le célèbre pamphlet situationniste, De la misère en milieu étudiant, publié à Strasbourg en novembre 1964. Il effectue en compagnie de Pierre Goldman à une session de formation révolutionnaire et de guérilla à Cuba pendant l’été 1967. En mai 68, il participe au journal Action. Voir précédemment.
Entre 1975 et 1990, il a couvert pour le journal Libération la plupart des conflits du Moyen-Orient : guerre du Liban, conflit israélo-palestinien..

Libération inscrit, pour quelques années, l’une des traces persistantes de Mai 68. Fondé par Sartre et des militants maoïstes en 73, le journal se veut un anti-journal, en prise directe sur la parole populaire. Le journalisme dominant est une médiation bourgeoise à éliminer, qui manipule en prétendant montrer. À l’intérieur de Libé, les salaires sont égaux, les tâches partagées. Rien n’est proscrit de ses colonnes ; et la plume transparente de « journalistes » sous contrôle doit transcrire sans reste et sans ajout les mots de ceux qui n’ont jamais la parole. Cependant, pour faire face aux difficultés financières et aux procès à répétition, le quotidien se professionnalise. La division du travail se remet peu à peu en place, et le journalisme en tant que tel redevient un souci. Ancien militant de l’Unef, Marc Kravetz arrive en 79, au moment de la remise en question de ce Libé « écrivain public ». Quoique militant, auteur en 68 de L’Insurrection étudiante, un livre « à chaud » sur le mouvement, il reste attaché au rôle du journaliste – un métier à réinventer avec son regard propre sur le monde plutôt qu’une rente de situation à éliminer. Il témoigne de ce désir, inspiré notamment par le new journalism et la contre-culture américains. Désir d’abord minoritaire et perçu par les militants les plus radicaux comme une première tentative de récupération. Ce premier Libération soixante-huitard hantera néanmoins longtemps le quotidien, même lorsque l’arrimage militant disparaîtra au gré de ses alignements, voire de son anticipation des reniements successifs de la gauche à partir de 81.



Notes

[1Dans le site de l’AITEC on peut lire : « Créée par des urbanistes, économistes, cadres d’entreprises, juristes…, l’Aitec est une association de solidarité internationale engagée pour la justice économique, sociale et écologique. À travers la recherche, le plaidoyer et l’appui aux campagnes et aux mobilisations des mouvements sociaux et citoyens, l’Aitec participe à la construction d’une expertise ancrée dans la résistance et l’action critique. Elle s’efforce aussi de proposer des perspectives et des politiques alternatives. »

[2- Lire le Capital, ouvrage collectif d’après un séminaire de Louis Althusser, avec des textes de Louis Althusser, Etienne Balibar, Roger Establet, Pierre Macherey et Jacques Rancière ; l’ouvrage a paru en deux tomes aux Éditions François Maspero dont il inaugurait, avec le recueil Pour Marx de Louis Althusser, la nouvelle collection « Théorie », en novembre 1965.

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